Lumière blanche, blafarde, aveuglante, tableaux privilégiant sans dogmatisme la durée des prises et présentant de multiples personnages d'abord sans rapport les uns avec les autres, mise en scène nerveuse: avec son style quasi documentaire, Gomorra tourne résolument le dos à la flamboyance et au romantisme des grandes fresques mafieuses auquel le genre nous a habitué. Le film n'est donc pas un film DE mafieux, mais bien un film SUR la mafia, qui nous montre, en suivant les trajectoires d'une poignée de personnages, comment la mafia contamine toutes les strates d'une société, comment elle s'insinue, parfois insidieusement, dans la vie de chacun, comment, finalement, elle est un mode de vie, une manière d'être au monde. Dans un décor urbain à la fois fascinant et quasi kafkaien (cette incroyable cité avec ses escaliers qui s'entrecroisent, ses parkings désaffectés, ses centaines d'appartements alignés) Gomorra est magnifique et effrayant par la manière dont il nous présente des personnages totalement isolés, invisibles ou en ombre chinoise (filmés à contre-jour souvent), des personnages interchangeables, voués à disparaitre: le petit monde pittoresque et presque sécurisant des premières minutes respire en fait la mort. Matteo Garrone, avec un talent indéniable, insuffle à Gomorra un mouvement, une vibration propres au grand cinéma politique, sans jamais oublier d'y mettre une puissance visuelle qui marquera les esprits longtemps après la fin du film.