Fincher: Former la perversion.
Ca faisait longtemps que j’avais envie d’évoquer avec vous ce petit film bien pétochant, bien flippant et bien malsain. Fincher n’a jamais dissimulé sa fascination pour la perversité absolue et sa pure banalité dans notre société. Comment l’individu incarne son vice, soit dans un avatar grandiloquent et hollywoodien comme le meurtrier du Zodiac ou l’une des versions les plus flippantes de Kevin Spacey à ce jour, et pourtant y’en a beaucoup ! Soit dans la banalité des choses et des actions comme dans Millénium et dans the Social Network. Dans son petit monde brillant quoique que LEGEREMENT pessimiste Fincher est un pervers artiste qui, dans ses films, parle des pervers actifs, en s’adressant à nous autres spectateurs, les pervers passifs. On aime quoi ? Voir des enfoirés qui tuent à tout va et détruisent les fondements de la société et de la morale telle qu’on pense la connaître et la perfomer. Pourquoi aime-t-on ça ? Parce que, faut l’admettre on est peu vide et triste à l’intérieur. Alors quoi de mieux qu’un peu d’ultra violence et de commentaire sur la société de consommation, enrobé dans un emballage de thriller glauque et grimaçant ? Que ce commentaire soit incroyablement fun à regarder.
Pour résumer :
Gone Girl, avec Rosamund Pike et Ben Affleck dans les rôles principaux, raconte l’histoire de Nick Dunne, un quarantenaire flasque marié à Amy Dunn, une quarantenaire qui s’ennuie. Le film commence alors qu’Amy disparaît ne laissant derrière elle que des meubles bousculés, des traces de sang sur la hotte aspirante de la cuisine et tous les soupçons du monde sur son mari, Nick, ainsi qu’un journal intime qui regorge de preuves que Nick et Amy filaient le parfait amour avant que ça parte en shweepes. Tandis que les parents d’Amy et la presse se mobilisent pour retrouver Amy, la police commence une investigation qui mène à une sérieuse remise en question de la version de l’histoire de Nick. LE fait est que celui-ci n’agisse pas vraiment comme un mari épleuré ne nous aide pas non plus à le barrer de la liste des suspects. Et ce n’est que le début du film, la personnalité de Nick continuera de nous troubler sans savoir quelles réponses trouver dans ses grands yeux vides, si réponse effectivement il y a.
Je refuse de vous gâcher le film et son scénario pour deux raisons. Premièrement il mérite d’être vu et si ce n’est pas déjà fait, courrez parce qu’il y a fort à parier qu’il n’aura pas une grande carrière dans nos cinemas.
Deuxièmement ce serait vous gâcher l’un des principaux intérêts du film, la découverte de tous les tenants et les aboutissants d’une histoire sordide, grotesque, brillante, et qui n’a pas peur de vous emmener là où vous préféreriez ne pas aller. Je ne dis pas que l’histoire est nouvelle, je dis juste que celle-ci joue habilement avec les codes du genre et déplace constamment l’intérêt du thriller tel que vous l’imaginez.
Ce qui m’amène à évoquer l’un des points les plus intéressants du film. Ce film est un thriller, réalisé par David Fincher, avec Ben Affleck, ce qui lui donne un 0.5 sur l’échelle du potentiel humoristique (échelle sur 100), . Et pourtant le film est, à certains moments, à se tordre de rire. Okay le terme est peut-être un peu fort, mais je vous prie de croire qu’il y a des moments où la situation est tellement grotesque et tellement calculée que votre corps choisira entre deux réactions : le dégoût, et le rire désespéré. On savait déjà que grâce à Fincher, le thriller s’était réinventé et était devenu cet espèce de méandre pluvieux et labyrinthique où la tension dramatique ne laisse aucune place au vrai rire, ou même au rire grinçant. Ce qui, pour de nombreuses raisons, peut affoler votre palpitant et augmenter les risques de crise cardiaque. Ici, Fincher réinvente à nouveau le thriller pour en faire cet espèce de forme anti-monolithique où vous ne savez jamais sur quel pied danser. Pour la faire courte, on pouvait deviner que Fincher a un sens de l’humour fermement chevillé au corps, mais ce film nous le confirme avec brillo. Comprenez moi bien, ce n’est pas une comédie, mais c’est justement dans l’inconfort et dans la violence du vrai thriller fincherien que des aspérités se créent et que le genre il le réinvente, par la comédie qui se force sur vous. Attention hein, rien de déplaisant, mais, inattendu et ravigotant !
On ne peut, bien-sûr, pas expliquer cela uniquement par le génie du cinéaste, il faut rendre hommage à la scénariste, Gillian Flynn, qui signe son premier scénario, mais qui surtout adapte son propre livre. Elle aide surement Fincher à débloquer son clown intérieur (vous savez, celui qui terrorise les enfants et martyrise les vieilles dames au coin de la rue). En tout cas, elle maîtrise tous les tenants et les aboutissants de sa propre histoire et sait totalement ce qu’elle fait. Mais je vais encore éviter de m’aventurer sur ce chemin.
A la place, je parlerai des acteurs, notamment pour aborder un point fondamental, le choix de Ben Affleck. Pour beaucoup, Ben Affleck est le bellâtre qu’on n’arrive pas à aimer, c’est l’acteur qui a tenté d’avoir une carrière dans des grosses productions, mais qui s’est heurté à un os, les gens ne le croient pas lorsqu’il joue le héros, et ne peuvent que s’affliger, notamment dans Daredevil quand, il affecte l’un des regards les plus ridicules et les plus abrutis du cinéma hollywoodien.
De l’eau a coulé sous les ponts et il a montré qu’il était un réalisateur non seulement sérieux mais très capable. Mais est-ce que Fincher a choisi Ben Affleck pour ses capacités de metteur en scène. Pas du tout. Justement Il l'a choisi justement parce que les gens trouvent encore aujourd’hui, soit qu’il est mauvais acteur, soit qu’il a l’air complètement débile. Et c’est là tout l’intelligence et tout le cynisme de Fincher, choisir un acteur justement parce que celui-ci ne sait pas jouer et qu’il a les yeux d’un poisson qu’on a cuit, mangé, puis recraché parce qu’il était faisandé depuis trois mois.
J’exagère encore mais c’est sincèrement, dans le jeu, ou son absence et dans la direction de Fincher qu’Affleck accepte enfin sa nature et trouve un rôle qui, si ça se trouve, lui offrira un oscar de meilleur acteur. Sacré coup du sort. Rosamund Pike est, elle, formidable dans des flash-back qui impriment avec génie toute l’ambiguïté du rôle des deux personnages dans ce film.
Evidemment, quand on parle de Fincher, on pense aussi à une réalisation sans faille et un accompagnement musical au diapason, et là évidemment c’est sans faille. Les couleurs froides se marient aux tonalités dérangeantes, comme des bruits de chaises à bascule qui se cassent et le Minnesota grisonne autant qu’il s’échappe à mesure que les apparences font se dérober le tapis, les preuves et les évidences sous vos pieds. Dans ses pires moments, le film dérange d’être à ce point brillant, notamment dans les scènes les plus violentes. On a beau rire et grincer, on en reste pas moins, parfois, face à un spectacle du Mal tel que Fincher s’imagine qu’il vit dans notre société. Et tout cela n’est pas toujours beau à voir. Bon d’accord y’a des choses carrément dégelasse et complaisantes, mais c’est un peu ce pourquoi on signe quand on va le voir… Non ?
Si on parle d’axe de lecture, le film nous laisse l’embarras du choix dans les sujets à aborder, critique de la société du spectacle, plongée dans l’enfer du couple et surtout le combat de l’individu contre une société qui peut rapidement s’ériger contre quelqu’un pour son incapacité à performer une image de soi assez convaincante. Ce qui est passionnant dans ce film, justement, c’est qu’il fonctionne en négatif de Fritz Lang, notamment M. Le Maudit. Certes la société peut être une créature qui t’ingère et te dévore, mais chez Fincher, tout part d’un individu qui joue avec les codes de cette société et qui la manipule, parce qu'elle même l'a manipulé. Ce qui est également intéressant dans cet opus ce sont les scènes de petits groupes, 15-20 personnes où Fincher nous montre ce qu’un groupe de personnage ressent pour un personnage donné, la piste de lecture sur l’individu contre la foule et l’image que l’un et l’autre se renvoient est hyper intéressante et ça gagne en complexité quand on parle du déterminisme et de la construction de genre. Beaucoup de gens ont taxé l’histoire de misogynie. Je ne suis pas d’accord. Déjà, bien malin celui comprendra l’opinion de son auteure derrière l’œuvre, ensuite, les personnages sont présentés comme des produits de leur milieu à la fois comme des instigateurs et comme des victimes d’un système qui a fait d’eux des créatures difformes horriblement banales pour l’une horriblement perverse pour l’autre. Et le seul moyen de s’en sortir, c’est dans la difformité. Quand on est difforme, on vous regarde. Et ça fonctionne pour beaucoup de personnages. On parle plus de genre comme caractéristique subie, que comme véritable élément de nature. En cela, s'il ne rentrera pas de sitôt dans les bonnes grâces des groupes féministes, on ne saurait le ranger à l'opposée du spectre de réflexion sur le genre
Et là encore, je ne vous dis rien, mais quand on parle apparences, dans une société régit par les apparences la personne qui maîtrise totalement son image maîtrise la société.
Et c’est une rigoureuse leçon de cinéma. Qui maîtrise la forme nous met à genoux devant tant de génie formel. Là où c’est problématique, c’est quand le fond se perd. Fincher nous perdait un peu devant Millénium mais nous prouve qu’avec les services d’un scénariste malin et en total maîtrise de ses facultés, le produit fini met à genoux.