Show must go home
Le grand bouleversement qui a terrassé l'industrie du divertissement, au cours de ces 30 dernières années, tient en deux points. La fin d'une certaine possibilité d'émerveillement serait presque...
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le 3 août 2016
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Il y a toujours un risque à vouloir s'inspirer d'un succès critique et publique sans en avoir réellement saisi la teneur. Malheureusement, Suicide Squad, le troisième film du DC Extended Universe pense prendre un risque calculé en s'inspirant – pour ne pas dire copier – Guardians of the Galaxy de l'écurie Marvel. Ce risque: Chercher son cœur dans la poitrine de son voisin et suffoquer sous les palpitations d'un greffon trop gros pour une poitrine trop petite. Explications.
Lorsque que la ville de Midway City est menacée par un attentat d'une nature surnaturelle, une équipe de prisonniers labellisés badguys est assemblée par une agente du gouvernement désespérée. A son corps défendant, l'équipe composées de méta-humains et de criminels brillants surdoués va devoir combattre un ennemi qu'ils ne connaissent pas et apprendre à se faire confiance.
Suicide Squad n'a pas de chance. En se posant en troisième opus d'un Cinematic Universe qui ne tient pas encore sur ses deux premières jambes (la première boitillante, Man Of Steel, la deuxième claudicante Batman V. Superman : Dawn of Justice.) le film cumule les handicaps : il doit corriger le tire du deuxième film qui a connu un relatif échec commercial et un échec critique total, et assurer les spectateurs que l'univers vendu peut proposer suffisamment de personnages cohérents et de situations intéressantes pour justifier le prix d'admission à chaque films. La troisième difficulté est de corriger drastiquement le ton mis en place dans les deux films précédents. Suicide Squad est, à ce titre, un cas d'étude passionnant : le film a subit en cours de production bon nombres de reshoots, ce qu'on appelle en français bien de chez nous des scènes refilmées dans le but avoué, non seulement d'ajouter des scènes d'actions à l'acte finale mais également rendre le film plus drôle qu'il ne l'était au départ. Bien que certaines blagues donnent au film une légerté de bonne aloi, l'ajout d'un filtre polychromatique toutes les cinq minutes, notamment dans les scènes du joker, ne fait que polluer l'écran et rendre la lisibilité des scènes plus difficile. On n'est jamais vraiment dans ce film. Et cela ne s'arrange pas lorsqu'on doit subir la conversion 3D à la truelle du métrage qui, comme souvent, obscurcit l'image d'une histoire se déroulant la nuit pendant les trois quart de sa durée. A cela s'ajoute un manque cruel d'imagination dans les scènes d'actions où les fusillades et les corps à corps peu inspirés nous ramènent dix ans en arrière. On atteint un curieux paradoxe, lorsque la scène finale d'Age of Ultron est plus excitante que les scènes d'actions du film d'Ayer. Celui-ci parvient tout de même à orchestrer quelques rencontres intéressantes entre Deadshoot, Harley Quinn et les sbires zombifiques de l'antagoniste, mais ces scènes d'actions doivent plus au bagou des deux acteurs qu'à une véritable mise en scène inspirée.
C'est là que réside l'une des étranges habilités d'Ayer. S'il n'est pas un chorégraphe hors pair, il sait investir ses scènes d'actions à travers ses acteurs. C'est évident lorsqu'on voit Will Smith dans le rôle du mortifère Deadshot, Margot Robbie dans le rôle de l'excentrique et cinglée Harley Quinn et Viola Davis dans le rôle de l'effrayante Amanda Waller. Ces trois acteurs portent le fardeau d'un film et d'un rôle auxquels ils croient. Ils élèvent le matériau de base et se sentent clairement investi d'une mission de crédibilisation et d'identification des personnages. Je me suis surpris à plusieurs reprises à apprécier, non seulement certaines lignes de dialogues, mais également la tentative sincère d'injections d'enjeux et de scènes troubles pour des personnages profondément « comics. » qu'on croit parfois directement sortis d'une BD aux couleurs passées. Margot Robbie fait un numéro d'équilibriste qui force l'admiration : son personnage hyper-sexualisé parvient à s'ancrer comme un membre timbré, brillant, violent, tapageur, sans jamais n'être qu'un jouet sexuel sans personnalité, ce qui la rend bien plus fascinante que sa version d'origine, dans le dessin animé supervisé par Bruce Timm. A cela, s'ajoute une dynamique intéressante : les personnages sont obligés de collaborer et flirtent très souvent avec l'envie de trahir tout le monde est revenir à leurs racines nihilistes et égoïstes. C'est peut-être là la meilleure idée du scénario d'Ayer, celle qui donne ses moments les plus originaux au film DCEU. Suicide Squad est toujours à deux doigts de trouver une identité propre. Malheureusement, toute velléité d'originalité est plombée par la constante surimpression du modèle de Suicide Squad : Guardians of the Galaxy réalisé par James Gunn
Dans sa volonté de s'inspirer Guardians of the Galaxy, David Ayer perd toute notion d'équilibre, pourtant cher au personnage d'Harley Quinn entre gravité et humour décomplexé, et se compromet dans une copie sans vergogne du film d'origine. Le film réutilise le motif de l'équipe de bras-cassés qui est le point de départ du film de Gunn mais le rend caduque en multipliant par deux le nombre de personnages. Evidemment, il n'y a que peu de personnages qui s'en sortent avec une véritable épaisseur. Certains personnages meurent immédiatement avant d'avoir pu développer un arc narratif ou sont relégué à l'arrière plan (littéralement) avec à peine plus qu'une vague motivation pour exister. Là où cela devient véritablement scandaleux, c'est que l'on peut opérer une classification de l'importance des personnages en fonction de leur ethnie. Le personnage amérindien appelé Slipknot est le moins important, vient ensuite la japonaise (appelée Katana....). Pour un film qui se targue de promouvoir la diversité, il reste quand même bloqué à une vision très année 80 du traitement des minorités.
A la manière du film de James Gunn, le long métrage d'Ayer est rythmée par une bande son pop rock où The White Stripes, Queen et The Rolling Stones se côtoient. Mais là où le film de James Gunn justifie sa bande son en en faisant un élément fondamental de l'histoire, Ayer se contente d'en recycler le style, sans la substance. Et si le plaisir de la reconnaissance des standards récents et anciens joue son rôle sur l'humeur générale du spectateur, l'exercice montre rapidement sa vacuité. Pire, la copie devient aberrante, presque vulgaire lorsque le dernier acte du film copie la résolution du film de Gunn :
là où Starlord revoyait dans une vision sa propre mère lui tendre la main, l'un des personnages voit en vision son enfant se dresser entre lui et le bad guy
La copie, en plus d'être grossière, dénature le message. L'enfant n'est qu'un spectre crée par l'antagoniste et coupe toute possibilité de résolution de l'arc narratif du personnage concerné.
C'est là le plus grave problème de Suicide Squad : Copier un modèle sans comprendre ce qui en faisait l'intérêt au départ. Il parait difficile de conclure cette critique sans évoquer Jared Leto. Celui-ci me fournit une conclusion parfaite. Son introduction dans l'histoire, en plus d'être inutile, est marquée par son recyclage éhonté de la version d'Heath Ledger, apprécié par tous. Le Joker, comme le film dans lequel il gambade sans but, sont tous les deux des coquilles stylisées, mais vides, de films et de performances bien supérieures. On se souviendra de Suicide Squad probablement comme d'une conséquence curieuse mais négligeable du succès de Marvel, ce que le DCEU pour l'instant, est également.
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le 3 août 2016
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