Un petit village de la province française. Un clan y est tout-puissant, celui des Goupi. Chaque membre est affecté d'un surnom : l'aïeul s'appelle Goupi-L'Empereur, le commerçant Goupi-Mes Sous, le gendarme Goupi-La Loi, la maîtresse de maison Goupi-Tisane, la jeune fille Goupi-Muguet, etc. Deux membres du clan font bande à part : Goupi-Mains Rouges, un braconnier jeteur de sorts, et Goupi-Tonkin, un colonial instable rongé par les fièvres. Coïncidant avec la venue au pays de Goupi-Monsieur, le parisien, un double drame survient : Goupi-Tisane est découverte assassinée dans la forêt et, surtout, L'Empereur a une attaque foudroyante qui le laisse muet, et donc dans l'incapacité de révéler à son fils le lieu où est caché le magot familial, comme il est de tradition de génération en génération.
Adaptée de Pierre Véry, romancier plutôt oublié aujourd'hui, cette étude de moeurs paysanne est loin, très loin, de l'imagerie rurale que le régime pétainiste tentait alors de promouvoir. Les valeurs familiales chez les membres du clan, isolés dans la campagne, sont inexistantes, puisque seul l'appât du gain semblent les motiver. Goupi est à sa façon un film aussi féroce à l'égard de la politique vichyssoise que, disons, Le corbeau de Clouzot. Au-delà de ces considérations, le film est fascinant par son ton à la fois étrange et ludique, foisonnant (pas moins de douze personnages principaux) et cruel sur la nature humaine. Il vire en son milieu vers la farce (la séquestration du parisien dans la grange), tout en conservant son caractère insolite et troublant (le Vigan est époustouflant dans le rôle de Tonkin, rongé par les hallucinations). La direction d'acteurs, impeccable, empêche les acteurs de cabotiner et de tomber dans la "plouquerie". Du très grand art, pour un film à la fois révélateur du talent de Becker et assez différent, malgré tout, du cinéma fait d'élégance et d'empathie pour ses personnages, qu'il développera par la suite.