Bien loin du chanbara lambda, Hideo Gosha nous conte avec Goyokin, l'histoire d'un homme en lutte dans les méandres du pouvoir shogunal, non pas pour sa survie ou celle de son clan, mais contre une injustice. Et par ricoché sa propre lâcheté puisqu'il l'a déjà laissée se produire par le passé, et veut donc coûte que coûte empêcher sa répétition.
Pendant que vous vous entretuez dans le froid, que fait le shogunat ?
Il engraisse bien au chaud.
Avec cette phrase, lors du dernier dialogue du film, il est difficile de ne pas faire de rapprochement avec une certaine gauche japonaise de la fin de années soixante, épuisée par les années d'une lutte infructueuse, s’entre déchirant violemment et laissant ainsi le champ libre à ce qu'elle combattait initialement. Trois ans plus tard sortira L'extase des anges, qui, si il n'est pas dans mes préférés de Wakamatsu, trouve ici une résonance particulière.
Ainsi le personnage incroyablement, comme toujours, interprété par Tatsuya Nakadai ne veut pas à proprement parler trahir son clan, mais empêcher certains de ses membres de commettre à nouveau des exactions, quand bien même elles seraient un moyen désespéré de faire survivre le groupuscule en tant qu'entité politique et sociale. La lutte ne se situe donc pas entre le pouvoir central et ses satellites plus ou moins ambitieux, mais entre l'un de ces satellites, luttant pour survivre aux règles du pouvoir, et un de ses membres, devenu renégat car n'acceptant pas de trahir ceux qu'il est censé protéger, à savoir le peuple.
Ce qui est très fort avec Goyokin, c'est que tout en cassant certains codes, et malgré son discours profondément politique sur l'échec de toute société, il passe tout seul. Cela grâce à un scénario qui ne force jamais sur la complexité, mais surtout à une réalisation splendide, qui sait parfaitement quand rester immobile et quand bouger, utilisant le mouvement avec une rare maestria. Les travellings ne se contentent pas de suivre une action, ils réinventent sans cesse, même en quelque mètres, le cadre, et la manière d'appréhender l'inscription des personnages dans les décors.
Et puis il y a bien évidement la musique, essentielle dans cette narration s'inspirant légèrement du western spaghetti sans pour autant la copier bêtement. Deux thèmes sont particulièrement forts, celui d'Ohira, la survivante du précédent massacre, fort beau mélange de musique de chanbara habituelle et d'influences de Morricone, et les percussions de cet époustouflant final enneigé, tribal et fataliste.
Au premier visionnage c'est évidement ce dernier quart d'heure que l'on retient particulièrement, d'où le revisionnage, car tout le film est à la hauteur de sa fin, violent, vif, esthétique, musicale et aussi intelligent qu'il n'est divertissant.