Le devoir de soumission face aux obligations morales



  • Voyez ça. Un sabre d'Echizen, de la plus belle facture qui soit. Vous voulez vraiment le vendre ? Un si beau sabre et un si grand art. Saut votre respect, c'est tout ce qui vous reste.

  • Je n'en veux plus.

  • Qu'allez vous devenir sans sabre ? Un samourai ne devient pas paysan. Vendre son sabre, c'est renoncer à sa condition, non ?

  • Qu'elle fierté à être samourai ?



Si la plupart des films de chanbara contribue à montrer la grandeur du samouraï l'oeuvre d'Hideo Gosha en montre toute sa décadence en confrontant le devoir de soumission qu'impose la fonction du katana aux obligations morales. Goyokin l'or du Shogun, d'Hideo Gosha est un drame passionné, réaliste et puissant qui présente un récit remarquable à travers lequel le cinéaste livre un travail spectaculaire. Une intrigue située en 1830 qui en ouverture se présente comme énigmatique, étrange et inquiétante avec la disparition des villageois du village de pêcheurs de Kurosaki qui pose un contraste frissonnant et qui trouvera toute sa logique par le biais d'un rouage politique abject. Une histoire qui se confronte violemment aux scandales du clan Sabai d'Echizen qui pour subsister auprès d'un Shogun qui impose aux seigneurs locaux des prescriptions impossibles à tenir, va devoir arpenter un chemin obscur et contradictoire avec le code d'honneur et de justice du samouraï à travers le massacre en masse et le vol.


Un véritable drame au milieu duquel le samouraï Magobei Wakizaka va tout tenter pour faire prendre conscience de la folie meurtrière et déshonorante qu'emprunte son propre clan en essayant de survivre aux exigences intenables du shogun. Se refusant à aller contre le sens éthique et moral qui le compose sans pour autant s'absoudre à affronter son clan à cause de l'honneur, de la responsabilité, de la loyauté et de la soumission dus à son rang, Magobei se retrouve face à une dualité qui le conduira à fuir son clan pour une vie solitaire, laissant derrière lui sa femme, ses collègues et son meilleur ami. Une quête de rédemption par la fuite qu'il ne trouvera jamais même en délaissant son propre sabre, jusqu'à ce qu'il apprenne trois ans après que son ancien clan est prêt à re-commettre une telle folie, le poussant cette fois-ci à reprendre les armes pour expier ses fautes et par là même éviter qu'une telle tragédie ne recommence.


Une histoire émotionnellement forte qui trouve sa richesse entre les lignes narratives proposées et qui tire toute sa puissance de la réalisation d'Hideo Gosha qui livre une mise en scène poétique, sophistiquée et étudiée ayant un sens de la théâtralité en parfaite adéquation avec l'ambiance rigide et froide présentée. Une atmosphère remarquable qui à bien des égards tend vers une tragédie grecque revisitée à travers une sensibilité japonaise. Un niveau émotionnel passionnant autant dans le fond que la forme, incroyablement bien filmé. L'élaboration des plans est extraordinaire, c'est visuellement beau, parfaitement cadré, avec des images d'une colorisation à tomber avec une variation de l'ombre et de la lumière exemplaire, le tout appuyé par des combinaisons filmiques astucieuses et des mouvements de caméra intelligents. Une mise en scène qui offre une véritable élévation et dimension à l'architecture fine des décors enneigés de l'île de Sado et à la matérialisation des costumes, via une photographie brillante qui capture efficacement une mystérieuse ambiance hivernale dans d'inquiétants et stupéfiants paysages littoraux du Japon. Dans toute cette beauté, le montage parfois nébuleux vient malheureusement légèrement un peu obscurcir l'ensemble (mais pas de quoi rendre cela amer).




  • Allez, fais pas l'innocent. Mets-moi au courant.

  • De quoi tu parles ?

  • Tu sais très bien. Les Sabai cherchent à te tuer. Je suis presque sûr que tu as appartenu à leur clan. Il ya trois ans de cela, au pays des Sabai, sous le règne de je ne sais plus quel ponte Matsudaira, un village de pêcheurs a disparu. "Enlevés par les dieux", paraît-il. C'est à la même époque que tu as quitté les Sabai. Ce n'est pas tout. Au même moment, un vaisseau shogunal chargé d'or coulait au large du territoire des Sabai. Etonnant, non ?



Les scènes de combat au katana sont réalistes dans la tradition de nombreux chanbara à ceci près que les confrontations sont filmées de manière nerveuse avec quelques originalités plutôt bienvenues dans les diverses actions proposées. La confrontation dans la cabane enflammée a de quoi tenir en haleine. L'enjeu final est de taille, sous une tension élevée poussant l'ensemble des protagonistes à devoir user d'astuces et de plus d'un coup de sabre pour empêcher un navire chargé de lingot d'or de s'échouer sur les rochers du village de pêcheurs de Samegabuchi, en devant éteindre un faux feu de joie censé guider le bateau vers les récifs de la baie et devant en allumer un nouveau. Le duel final est superbe et tragique à la fois avec une conclusion symbolique magnifique qui s'enchaîne sur un dernier chapitre idéologiquement fort entre les personnages avec une dernière scène dans une conduite rappelant les grands westerns italiens. La séquence d'ouverture avec le retour de la jeune femme dans le village de pêcheurs de Kurosaki et de loin ma préférée tant la construction cinématographique autour de celle-ci est époustouflante. La composition musicale de Masaru Sato est d'une beauté envoûtante et mélancolique, imprégnant magnifiquement les images avec des mouvances dans les tonalités de son fortement imprégnées de percussions durant le duel final.


Le casting japonais est spectaculaire avec des performances d'acteurs totalement adaptées à l'ambiance générale du film. Tatsuya Nakadai en tant que Magobei Wakizaka est très bon, il est tout du long mémorable en apportant une présence remarquable via un regard déterminé. La relation qui l'unit à son beau-frère et meilleur ami incarné par le comédien Tetsuro Tamba, qui n'est autre que l'antagoniste principal, est d'une subtilité débordante de dramatisme. Tetsuro Tamba sous les traits de Rokugo Tatewaki offre une prestation incroyable à travers ce rôle poignant qui présente un antagoniste aux antipodes du cliché. Rokugo commet ses actes odieux par nécessité et devoir envers le clan Sabai dont il est à la tête et qui à cause de la récession et de la réduction du Shogun depuis Kyoho laisse le clan extrêmement épuisé et doit malgré tout pour subsister obéir aux demandes du Shogun sous peine de disparaître avec les 600 vassaux dont Rokugo à la garde. Une position intenable qui va finalement le contraindre à commettre l'irréparable. Un complot pour reconstruire les finances du clan qui souffre de l'insatiabilité du Shogun. Autant pour Magobei que pour Rokugo, les deux hommes n'ont d'autres choix que d'aller au bout de leur conviction même si tout du long tous deux veulent éviter de tuer l'un ou l'autre ce qui ajoute une tension dramatique supplémentaire.


Kinnosuke Yorozuya joue Sonbei un samouraï débraillé qui ne paye pas de mine mais qui s'avère habile de la langue mais aussi du sabre. En tant qu'espion du shogunat qui l'envoie en mission d'infiltration pour enquêter sur la disparition des membres du village de pêcheurs, ce protagoniste apporte un ton ironique imprégné de danger qui fait du bien à l'intrigue. Initialement le rôle fut écrit pour Toshiro Mifune, mais c'est finalement le comédien Kinnosuke Yorozuya qui l'a obtenu pour mon plus grand plaisir car il joue le personnage à la perfection. On aimerait avoir un film solo autour de son personnage énigmatique. Le duo au sabre que forme Sonbei avec Magobei est excellent. Les deux comédiennes principales sont sublimes et convaincantes, elles apportent beaucoup de crédit au récit avec ces deux femmes totalement à l'opposé l'une de l'autre. La comédienne Yoko Tsukasa incarne avec conviction "Shino" la femme de Magobei qui n'est autre que la soeur de Rokugo, de quoi apporter encore plus de complexité émotionnelle. L'actrice Ruriko Asaoka en tant qu'"Oriha" est fascinante puisqu'elle subit une véritable transformation psychologique en étant la seule survivante du massacre du village Kurosaki. Oriha est une femme au fort caractère qui amène de l'énergie aux différentes péripéties et qui se révèlera être d'une importance capitale pour la résultante de l'intrigue.


CONCLUSION :


Goyokin l'or du Shogun réalisé par Hideo Gosha est un chanbara exceptionnel qui narre une histoire captivante sur un étrange mystère s'articulant autour d'un complot politique qui conduira à une construction dramatique des plus sensationnelles, avec des scènes de combat réalistes, superbement entourées par des décors hivernaux saisissants autour d'une réalisation à la beauté visuelle inspirée qui ne souffre que d'un montage approximatif sur certaines séquences, le tout enrichi par des comédiens incroyables.


Hideo Gosha prouve qu'il n'y a pas qu'Akira Kurosawa qui mérite d'être sur le podium des plus grands cinéaste autour du chanbara dramatique.




  • Je quitte le clan.

  • Magobei. Ces pêcheurs, je devais les tuer. Si l'or n'avait pas été vital pour nous, j'aurais agi autrement. Imagine s'ils avaient tout révélé. Notre clan était perdu. J'ai sacrifié quelques faibles pour faire vivre notre clan et ses 600 vassaux. C'est la méthode des samourais.

  • J'en ai assez de ces méthodes.

  • Magobei...

  • Si je reste dans le clan, je devrai te combattre, un jour. Toi, le frère de ma femme et mon ami. Je quitte le clan. J'abandonne tout et je pars. Mais avant, fais-moi une faveur. Jure-moi de ne plus jamais recommencer.


B_Jérémy
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le 15 mai 2021

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