Depuis Le Sabre de la bête, Hideo Gosha nous ressert sa thématique de l'or qui fait ressortir le mauvais des êtres humains. Mais loin de faire du réchauffé avec Goyokin, il sublime tout simplement tout ce qu'il a fait auparavant grâce à une réalisation où brille une idée toutes les deux minutes. L'intrigue, sur le papier, est d'un classicisme confondant : Magobei, un samouraï devenu ronin, est en route vers son ancien clan pour faire éclater la vérité et la justice à la force de son sabre, croisant des individus bien souvent concernés par son terrible passé. C'est peut-être la manière dont tous ces éléments sont agencés (cette femme qui attend le retour de son époux avec une patience éternelle, et les deux frères d'armes qui doivent inéluctablement s'affronter car l'un est loyal à son ordre et l'autre à ses principes, on dirait de la tragédie grecque) qui rend l'ensemble si passionnant à suivre.
Mais surtout, comme je l'ai souligné, on est rarement allé si loin en termes d'inventivité et d'expérimentation dans le genre. Que ce soit l'intro aux relents horrifiques qui contraste lourdement avec la procession de la mariée, l'entrée en scène de Magobei (incarné par un Tatsuya Nakadai démentiel) qui ressemble à s'y méprendre à du western spaghetti, les quatre éléments convoqués durant sa mission comme si l'univers entier était tenu en suspens, ou enfin ce fantastique duel final dans la neige avec à l'arrière-plan ces joueurs de tambours portant des masques de démon, c'est bien simple, Gosha ne cesse de nous surprendre en concoctant des compositions ou des ambiances qui n'ont apparemment rien en commun les unes avec les autres, sinon pour insister sur la dimension surréaliste qui entoure la trajectoire de Megobei, comme mort de l'intérieur (d'ailleurs à deux doigts d'abandonner ce qu'il le rattachait encore à sa condition en vendant son sabre), qui finira malgré lui par reconquérir son humanité (en passant d'abord par le regain de ses sensations via cette scène géniale où il doit réchauffer ses mains pour utiliser son sabre) en sauvant ces pauvres pécheurs du sort qu'on leur réserve de nouveau.
Si on ajoute à cela des affrontements superbement chorégraphiés et pensés (les gestes des personnages sont d'ailleurs souvent lourds de sens sans qu'ils aient à prononcer un mot) et l'inoubliable musique de Masaru Sato qui permet aux images de redoubler d'intensité et/ou d'émotion, Goyokin m'apparaît aisément comme le summum du chambara crépusculaire. Un film qui est non seulement d'une inventivité folle et constante par rapport à la forme, et ce, sans perdre en cohérence, mais aussi d'une beauté déchirante (ce dénouement avec Magobei délaissant son sabre une fois sa mission accomplie, et qui semble progresser vers le néant, sa femme lui courant après comme une dératée, c'est juste puissant).