Bien que c'était mon premier film de ce réalisateur(dont j’avais entendu le plus grand bien de son Tabou), je partais fatigué pour voir ce film: expérience cannoise oblige, on se lève à pas d’heure pour aller voir un film portugais de 2 heures en noir et blanc. Et pourtant ça m’a chopé.
On entendais les ronflements en salle Agnès Varda (ça et la clim de merde mais c’était indépendant de Gomes) mais je signe: j’ai vu un bijou narratif dans un écrin visuel d’exception, et ça s’appelait Grand Tour.
Grand Tour, c’est le motif de la course poursuite même, où dans les empires européens d’Asie en 1918 un homme anglais posté en Birmanie fuit pour on ne sait quel raison sa fiancée impatiente d’attendre qui le rejoint. C’est juste ça. Vraiment juste un homme qui fuit sa femme qui le suit, un voyage effréné dans la pure tradition du roman picaresque.
Mais Gomes profite de la simplicité de son récit (tout en s’y tenant parfaitement) pour en réinventer la forme et les outils narratifs: un noir et blanc et des décors de studios qui ne sont pas un simple pastiche de l’Hollywood classique mais très exactement les mêmes images (on sent un plaisir de recréer, de réactiver le savoir faire d’un Curtiz des grands jours) et autour de cette forme étonnamment classique, on a sporadiquement des ellipses très littéraires: des narrateurs chacun dans leur langue lisent les évènements de l’intrigue que nous ne verrons pas, des évènements qui seront de simples phrases prononcés sur des images contemporaines et documentaires des lieux de l’intrigue.
Plus qu’une transgression du show don’t tell ou même qu’un cache-mysère ce procédé permet non seulement de tenir un rythme captivant alternant les scènes classiques hollywoodiennes et les moments proprement contemplatifs des pays visités par la caméra, qui permettent d’insérer les péripéties mais surtout d’écrire un discours. Gomes réfléchit le film d’aventure, ce genre qui a servit de carburant à la pensée coloniale, avec ces européens si insolents en tenues toute blanches se déplaçant dans les mondes étrangers. En filmant ces pays aujourd’hui dans tout ce qu’ils ont d’hybrides, territoires dés-européanisés et en même temps insérés dans une mondialisation occidentale entre de charmantes scènes typiques d’un roman de Jules Vernes on se pose la question d’un genre qu’on regarde encore avec nostalgie.
Sans sortir de grandes idées sur l’Orient et l’Occident, Gomes soutient à nourrir un plaisir déculpabilisé des œuvres anciennes tout en montrant les nouveaux espaces qui demandent non plus le regard occidental, mais tout les regards.Plus généralement que la nostalgie, le film se veut une vraie réflexion sur les traces du passé et de ses œuvres.. L’anomalie de ce film dans le paysage contemporain c’est de ne pas laisser de place à la dénonciation (sans nier les horreurs du passé), l’indignation morale pour consacrer 100% de son énergie à la célébration, à l'éloge des petites beauté d'un voyage. Le passé, tout cela à vécu, pour le plus beau et le plus laid, d’autre choses se vivent aujourd’hui tout aussi belles et laides mais différemment: Gomes choisit de filmer le beau d’avant et le beau d’aujourd’hui dans un même temps.