"Le cinéma, usine à rêves on disait. Vous gardez les rêves et vous me laissez l'usine"
Tout juste avant la définitive privatisation de TF1 ordonnée par l'état, depuis le cinéma où les entrées sont à bout de souffle, Godard saute à pieds joints dans le petit écran déterminé à lui faire la leçon : l'egratigner pour ce qu'il ne s'est pas permis d'être ou alors, s'il ne le sera jamais, l'exploser. C'est en plein Prime Time que ce film apparaît un samedi de 86 et disparaît aussitôt sans avoir donc pu sauver ce qu'il venait chercher, le spectateur, ou ce qu'il amenait, le nouveau souffle du cinéma.
<< si on voyait à la télévision plutôt que d'entendre, qu'on parlait moins et qu'on montrait plus, je pense que je pourrais retenir. Mais puisqu'on ne fait que parler, moi je n'ai rien vu du tout. >>
"C'est pas ça le cinéma, moi, je ne veux plus"
Alors qu'il l'annonce mourant dans ses formes avec Daney et d'autres esprits logiques, Godard prend en otage la télévision pour mieux parler de son vieil ami, de son dictionnaire : le Cinéma. Et se prend un coup de machette. Ceux qui ont anesthésié l'art du cinéma et puis l'espoir qu'apportait à celui ci la télévision ont finalement l'air d'avoir aussi anesthésier les spectateurs, auxquels Godard fait plus confiance qu'aux producteurs et politiques. Ils ne réclameraient apparemment plus que ce qu'on leurs fait croire avoir demandé. La sensation du parlé, de l'information choc et du confort feuilletonné. Pourtant, avec ce film Godard prouve qu'il croit encore à l'intelligence et la logique humaine/humaniste.
Le coup de machette est là, un film comme une question, et une question qu'on laisse sans réponse. Une discussion sans interlocuteur. Un téléphone, le fil, le réseau, l'électricité, juste personne au bout.
AU(x) CONTRAIRE(s)
Révolté éternel, incapable de par son humanité d'honorer le service militaire suisse puis français, l'homme a fuit la guerre des corps mais pas celle des esprits : Godard ne baissera jamais l'arme : la caméra. Pour la télévision, alors, d'accord, c'est mort. C'est pas ici que le cinéma va naître à nouveau. Hop, direction la vidéo. La machette n'aura donc pas coupé la tête révoltée, ou la tête de la révolte, et de 86 à aujourd'hui, les films de Godard ne font que de chercher l'humanité, la réfléchir et à travers elle, permettre au cinéma ses nouvelles formes, celle dans lesquelles il respire le mieux.
Révolte reprenant, cependant sans la récolte méritée, en tout cas pas en France. Acharnement de rigueur.
Grandeur et décadence aurait pu être qu'un petit objet-souvenir télévisé ayant vécu 1h30 un samedi soir et puis mort comme ça, au printemps. C'était sans compter sur Capprici qui, loin de penser le film par ce qu'il aurait pu avoir de morbide si les armes Godardiennes avaient été enterrées, nous permet, dans une époque où le cinéma se met de nouveau (avait il seulement cesser) à trembler tel un vieux chêne, perdant ses feuilles aussi vite qu'un Concorde, de réfléchir à nouveau. Un combat bien vieux qu'est celui-ci alors, aussi vieux que sa réflexion. Quelle place doit prendre la télé ? Qui doit l'occuper ? Et finalement, le cinéma alors, puisqu'il ne cherche qu'à cesser d'étouffer dans les décadentes formes commerciales des salles, ne doit-il pas reprendre service à l'écran, retourner à la maison et se faire Être accessible ?
"KESKELAR"
Propos à part, la révolte reste, et dans chaque image et dans chaque plan.
Ce Godard est alors rétrospectivement avec Soigne ta droite et Week End un des plus drôles et incisifs. Et avec Adieu au Langage et Film Socialisme le plus cinématographique. Chacun des plans que l'on se plaît à imaginer dans notre télé (pourvu que Capprici nous offre avec un DVD la possibilité de l'expérience pensée par Jean Luc) tape à l'oeil, le droit et puis le gauche. Cette violente leçon de cinéma nous laisse presque avec deux cocards imprimés d'un "c'est ça le cinéma" et d'un "et quelque chose d'autre aussi". Tout et son contraire.
Il y a aussi un de ses plans des plus expérimentaux, celui des couleurs de la télévision qui semble danser à l'écran, ce plan qui revient le long du film, brossé de musique toujours plus belle que la précédente.
Il y a dans le plan/ arrière plan, le champs / hors champs et dans la superposition quelque chose de presque religieux. De très grand. Une grandeur qui traîne le cinéma en salle de réanimation et le réveille avec succès, trente ans plus tard.
Impossible, enfin, de ne rien dire de la scène Godard / Mocky (et Polanski en absence provoquée) qui apporte ce que je retiens le mieux de ce film :
On est pas des pirates
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