FIFIB, Bordeaux, octobre 2016.


Grave est un film qui, créant sa propre interprétation du Septième Art, son propre genre, embrasse et remet en question tout le cinéma. À milieux de toutes conventions ou de tout autocensure, il cite, décompose, améliore. À la fois référencé (la réalisatrice cite bien sûr Cronenberg, mais aussi Lynch et même Ben Wheatley) et novateur, il est un objet unique dans le cinéma français.


D’une puissance incroyable, bien que jamais dans l’exagération (qui serait ici une violence graphique permanente et “gratuite“, écueil dans lequel il serait facile de tomber), le film happe son spectateur dès les premiers instants, l’entraîne inexorablement vers un climax aux accents fatidiques. Si proche, ce dernier est pourtant toujours repoussé par un film où chaque scène menace d’être une rupture.


Ne nous méprenons pas, Grave n’est pas un film d’horreur à proprement parler - pourquoi lui assigner un genre ? L’imagerie de quelques scènes rebuteront les sensibles dans l’assistance ; les autres, seront hypnotisés par leur puissance - mais, s’il fallait à tout prix le catégoriser, un ‘coming of age movie’ tourné comme un thriller.
Grave est une sombre métaphore de l’émancipation et du passage à l’âge adulte. On y assiste à l’effondrement progressif de toutes les certitudes de la candide Justine (brillamment interprétée par Garance Marillier), et de sa métamorphose en ce quelle est vraiment.
L’évolution de son personnage est fascinante : surprotégée - à raison ? -, mal préparée au monde extérieur, elle se jette tour à tour dans chacun des écueils qui se présente devant elle. Le pire dans tout ça étant sans doute le malaise provoquée par la passivité forcée du spectateur qui vibre avec elle. La caméra de Julia Ducournau, aimantée par les corps, celui de Justine notamment, y est pour quelque chose, instaurant une rare immersion. C’est par ces rapports entre les corps omniprésents (mention spéciale à celui de Rabah Nait Oufella, littéralement filmé comme une pièce de viande pendant deux heures), que le film parvient à nous faire vivre avec lui. Le final n’en sera que plus grandiose.


Le personnage du père, incarné par Laurent Lucas, est en fait une des figures les plus fortes de ce film. Triste, quasi fantomatique, ses apparitions sont toujours marquées d’une profonde mélancolie. Et pour cause : il sait. La scène finale, qui à la fois synthétise et donne son origine au film, lui redonne sa juste importance : simplement par son regard, il exprime une conclusion (n’allons pas jusqu’à parler de morale). Avec le temps, il saurait volontiers prendre part à l’imagerie du cinéma de genre, double immobile d’un Jack Nicholson/Jack Torrance surgissant à travers la porte d’une salle de bain d’hôtel.


Une interrogation subsiste : le titre, bien que justifié par une scène du film - un classique, me direz vous - ne semble pas à la hauteur du film et de ce qu’il développe. La version anglaise, du titre, trois lettres seulement, “Raw“ (‘brut’ ; ‘pur’) apparaît comme beaucoup plus définitionnelle de ce que le film souhaite développer.


Edit février 2018, après la cérémonie des César : pour comprendre son statut dans le cinéma français, il est assez symptomatique d’observer que malgré ses nombreuses nominations, il n’a remporté aucune statuette.
Pourtant, Grave est un film brillant, tant sur le fond que sur la forme, et un film important. Grave est un film à voir.


P.-S. : Je pense mériter une certaine reconnaissance pour avoir mené cette critique à bien sans lancer les mots “cinéma de genre“ à tout va, n’est-ce pas Victor Panda ?

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le 27 déc. 2016

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Augustin

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