Dans les forêts polonaises encore sonores des cris de la Shoah, Agnieszka Holland, volontaire, culottée, énervée et franchement courageuse, s'attaque à une autre horreur humaine, une horreur contemporaine dont elle amplifie toute la douleur.

Insoutenable, son film l'est régulièrement tant il fait face avec crudité (et en soutenant le regard) à la haine dans tout ce qu'elle peut avoir d'injuste et de révoltant, à la souffrance des corps et des âmes, à l'absurdité d'arbitraires décisions politiques (ici, les frontières).

Résolument politique et coup de poing, Green Border porte avec lui les forces comme les faiblesses de ce genre d'œuvres radicales.


Comme tout film à charge, il est parfois lourd, trop démonstratif, usant de procédés déplacés (les témoignages ou chansons risibles en face cam, qui dérangent dans le mauvais sens du terme et brouillent inutilement les pistes) et de métaphores appuyées dont on se serait aisément passé (des réfugiés mendient sous une fresque murale représentant le drapeau de l'Union Européenne, des oiseaux migrateurs passent dans le ciel, franchissant allègrement des frontières dont ils n'ont même pas conscience...).


Comme tout film à charge, il brille par sa vitalité, sa force, son envie d'en découdre, sa spontanéité. Luttant de front contre la désinformation (autant celle autour du covid que la propagande extrême-droitiste autour des récits migratoires), Green Border lève le voile sur une réalité peu connue (l'usage par Loukachenko comme "armes humaines" de réfugiés pour déstabiliser la Pologne) et ne cache rien de sa brutalité, des rouages politiques cyniques qu'elle cache, critiquant avec acharnement le gouvernement polonais (et cela va sans dire celui biélorusse) et prônant sans demi-mesure la désobéissance civile et le passage à l'action solidaire groupée. Allant même jusqu'à se risquer à une comparaison finale entre traitement des réfugiés moyen-orientaux et ukrainiens, qui vaut ce qu'elle vaut.


Mais au-delà de son énergie sincère, Agnieszka Holland parvient à créer un vrai récit, s'en sortant bien dans la jongle entre personnages, qu'on aurait facilement pensé ratée d'emblée. Pas qu'un film à message, Green Border bascule habilement entre discours politique incarné par une pulsion documentaire et fiction aux enjeux et péripéties propres incarnée par des personnages bien écrits. Le film parvient donc dans sa deuxième partie à prendre une ampleur narrative supplémentaire qui ne s'avère finalement pas si superflue pour témoigner et documenter cette tragédie contemporaine.


Quoiqu'il en soit, Green Border s'avère une expérience de cinéma résolument intense, dont le noir et blanc sombre, poisseux et tristement beau, matérialise à merveille la plongée radicale dans une humanité crasse et acerbe, peuplant un monde brutal, violent et sale.

Le nôtre.

Charles_Dubois
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le 21 janv. 2024

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Charles Dubois

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