Si le second long-métrage de Jérémy Saulnier a pour le moment fait couler bien plus de sang que d’encre, cela devrait rapidement en changer : en cause, un casting modeste mais percutant, un synopsis fin comme un couteau ouvre-lettre mais tranchant comme un cutter, une photographie bien conçue et une bande-son originale consistante, qui font de ces quatre-vingt-quinze minutes de survival une ode machiavélique à la survie où les meilleurs partent toujours en premier.
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Pourtant, Green Room avait de quoi inquiéter : en mettant en scène un groupe de punk, il prenait aux tripes tous les amateurs – même dilettantes – de cet univers particulièrement mal-compris et mal-représenté par le cinéma. Pire, en opposant nos amis les bruyants à une division de fascistes échappée d’un mauvais film de Goebbels, Jérémy Saulnier semblait presque fier de flirter indécemment avec les Charybde et Scylla de la culture underground. Alors, Saulnier nouvel Ulysse ? Plutôt oui ! Les titres interprétés par les Ain’t Rights sont efficaces et le public, hargneux comme il faut : regards haineux, crachats gluants, jets de bière tiède ; au nom du Vice, du Père et du Saint-Esprit. On voudrait pouvoir parler de ce film avec une langue châtrée, mais ce serait faire injure au déchaînement de violences qui occupent les deux derniers tiers de Green Room et qui, sans jamais verser dans le ridicule, l’outrancier, l’inimaginable ou l’insoutenable, sait parfaitement vous saisir aux tripes avant de vous susurrer lentement à l’oreille « rates-en pas une miette mon gars. » Car la grande force de l’œuvre de Jérémy Saulnier, c’est la fascination qu’elle exerce sur nous, notamment à travers la violence. Et pourtant ; pas de corps coupé en deux par une mitrailleuse comme dans Il faut sauver le soldat Ryan, pas d’adversaire carbonisé comme dans le dernier Mad Max, pas de cranes broyés par des machines odieuses comme dans les vulgaires et outranciers Saw, « seulement » des gorges arrachées par quelques clébards, des bras mutilés au cutter et des poitrines perforées par… Dieu sait quoi.
Violence déchainée donc, mais surtout maladroite, impulsive, sacrilège : rien dont vous ne seriez pas vous-même capable si vous passiez 10 ans d’existence misérable à taper de la coke entre nazouzes mal-dégrossis. Lacets rouges, sourires canins, intelligence limité ; comme dans la vraie vie, les assiégeants ont la discipline pour seule force, qui contraste si férocement avec l’amateurisme bien compréhensible des assiégés. Autre écueil qu’évite d’ailleurs avec un certain brio ce Green Room de Jérémy Saulnier et qui se retrouve régulièrement dans les autres survival : celui de la frustration négative. Comprenez-bien : si vous passez le film à hurler aux personnages « ne faites PAS ça ! » c’est en général que ces derniers prennent un malin plaisir à prendre les décisions non pas les plus idiotes possibles – essayez d’être efficace quand trois Ostubaf vous poursuivent pour jouer à Ja Perché qu’on rigole – mais surtout les moins logiques. Ici, la frustration est positive : on voudrait encourager la vaillante troupe, réconforter nos gentils punks très normaux qui chialent quand on les tape, hurlent quand on les découpe et crève quand on les poignarde, comme une bande de poupées un peu fragiles coincées dans la maison des horreurs. Dicks in a box.
Green Room, en soi, c’est douze hommes et quelques femmes vraiment en colère et armés jusqu’aux dents ; un western humide et sordide avec quelques bons, beaucoup de brutes et énormément de truands ; une bataille des Ardennes délocalisée et à huit-clos, plus intime mais tout aussi violente. Green Room, c’est surtout une œuvre parfaitement maîtrisée, au casting impeccable et à la narration épurée et limpide ; quatre-vingt-quinze minutes de violence incorrecte et déplacée s’abattant sur quatre nigauds dont le seul tort était d’être au mauvais endroit, au mauvais moment.