Considéré d'un oeil un tantinet condescendant à son époque, le cinéma familial des années 80 jouit dorénavant d'une certaine bienveillance. Si la nostalgie n'est évidemment pas étrangère à ce retournement de veste, il faut bien avouer que ces productions purement mercantiles (ne nous voilons pas la face) bénéficiaient du savoir-faire de solides artisans et contenaient en elles une bonne dose de magie, d'humour et d'irrévérence. Recette malheureusement oubliée depuis, au regard de la production actuelle, peu attrayante, si l'on met de côté deux ou trois miracles.
Né de l'imagination d'un Chris Columbus pas encore dévoué aux blockbusters insipides, Gremlins est le parfait représentant de cette parenthèse enchantée. Cette douce période ou, volontairement ou accidentellement, quelques francs-tireurs parvenaient à dynamiter une simple commande pour offrir un pur moment de fun et de merveilleux, teinté d'une bonne dose d'humour débridé et sarcastique.
Parachuté sur le projet par un Steven Spielberg producteur (à l'époque) de génie s'étant bien poilé sur son Piranha (au point de convaincre Universal de ne pas le torpiller pour cause de Jaws 2), le trublion Joe Dante signait ici son film le plus abouti à mes yeux, et peut-être aussi son seul véritable succès au box-office, la suite de sa carrière n'étant qu'une suite de rendez-vous manqués avec le public malgré la qualité indéniable d'un Innerspace ou d'un Matinee.
En lieu et place de l'ersatz d'E.T. souhaité par les costards de la Warner et par les mères de familles (qui crieront au scandale), le futur papa d'Explorers détourne magistralement le sacro-saint "film de Noël", plongeant une paisible bourgade dans un bordel sans nom sous la forme d'un vibrant hommage à la S-F parano période Body Snatchers. Jouant habilement du merveilleux et de la suggestion, Joe Dante multiplie les ruptures de ton, bascule à mi-parcours de la jolie fable au film d'horreur pour kids, le projet étant d'ailleurs pensé à l'origine comme une bande d'épouvante.
Au spectateur, mi-médusé, mi-hilare, d'assister à un concentré de connerie et d'humour frappadingue, et de faire la connaissance avec une bande de créatures délicieusement abjectes et dégoûtantes mais terriblement drôles. Des saloperies de A à Z dont le seul but est de foutre la merde dans une Amérique aussi conservatrice que capitaliste, Columbus et Dante pointant méchamment du doigt une nation dénaturant tout ce qu'elle touche au nom du dieu Dollar, se torchant avec la nature pour emballer ce qu'il reste dans un joli paquet.
Véritable tour de force technique pour l'époque (incroyable travail de Chris Walas), Gremlins est une bombe aussi cartoonesque que macabre (le tétanisant monologue de Phoebe Cates), la rencontre déjantée entre Chuck Jones, It's a Wonderful Life et le cinéma d'exploitation des 50's. Un joyaux rythmé par l'entraînante partition de Jerry Goldsmith que je chéri de tout mon coeur et qui me fait toujours des guilis dans le ventre au moment des adieux.