"Gremlins" a presque 40 ans, mais quand je l'ai montré hier après-midi à ma fille de 9 ans, elle l'a adoré comme peu d'autres films avant. Elle a réagi à la fameuse scène du bar, et encore plus à la fameuse scène de la séance de cinéma de la même manière que nous réagissions en 1984 lorsque nous découvrions le chef d'œuvre de Joe Dante : avec un mélange indiscernable de joie et d'horreur... soit probablement exactement ce que Dante voulait provoquer chez son spectateur, et que son ami Spielberg a tout fait pour empêcher, pensant que cette approche "punk" de la critique de la société capitaliste serait inacceptable pour le grand public.
Alors, aujourd'hui, si "Gremlins" fait un peu "vieillot" quant aux techniques d'animation de Mogwaï (icône de merchandising avant l'heure...) - alors que les animatronics des Gremlins restent formidables -, le message de Dante à l'Amérique reaganienne d'alors reste tout aussi pertinent, voire plus... Car ce "meilleur des mondes" où l'argent-roi a tué l'Amérique - rêvée - de Capra, et rendu dérisoires nos aspirations à des lendemains qui chantent (ce futur qui n'arrivera donc jamais, symbolisé par les inventions charmantes mais défectueuses d'un père aussi dépassé que naïf...) est bel et bien le nôtre. Oui, nous avions bien ri en 1984 de ce pauvre réactionnaire qui maudissait ces voitures étrangères qui l'avaient réduit au chômage, mais aujourd'hui, qui d'entre nous n'a pas envie de devenir lui-même l'un de ces gremlins nocifs et délurés, fumant comme des pompiers et trichant aux cartes, dans un monde aussi hypocrite qu'hygiéniste ?
Quand je vois la réaction de ma fille, je me dis que "Gremlins" mérite d'être passé en boucle dans toutes les écoles : car, à l'heure de la monoculture effrénée, de l'arrogance des banquiers et de l'humiliation systématique des exclus, des fantasmes de toute-puissance des gouvernants, et de l'immortalité par clonage et des virus globaux, la leçon de Joe Dante n'a pas pris une ride. "Gremlins" est certes toujours un réjouissant conte de Noël (avec papa coincé dans la cheminée, ce seul moment de pure horreur du film...) qui "finit bien", mais est devenu a posteriori un blockbuster prophétique, et une vraie une leçon de morale à l'intention de nos enfants. Car, faisant écho de manière inattendue à un "Joker", "Gremlins" ne nous ment pas : il reconnait que nous avons tous en nous le goût de la transgression, voire même le goût du carnage, et que nous devrions peut-être admettre que cette violence anarchiste qui nous réjouit aussi profondément sera au final ce qui nous protégera du futur orwellien que les puissances de l'Argent nous préparent.
*[Critique écrite en 2020 à partir d'une première version écrite en 2008 et 2013]