Gueules noires, c'est un film d'horreur qui se passe dans une mine de charbon, un survival avec un monstre. Pas mal non ? C'est français.
A nous de savoir à quoi l'on s'en tient : les frissons infligés par un terrain hostile et mystérieux enfermant une créature horrifique, l'alignement des codes du genre dessinant un chemin narratif bien confortable et surtout les potards de la salle obscure poussés par l'exercice de mise en scène. Tous ces ingrédients prennent vie dans un film que l'on prend plaisir à dérouler, plaisir visiblement très partagé par ses créateurs qui s'en donnent à cœur joie.
Un premier avis bête, irréfléchi, facile, hors de propos, pousserait un spectateur à disqualifier immédiatement le film de part les clichés qu'il renferme et peut-être aussi le jeu en roue libre de certains acteurs. Parce qu'apparemment c'est sur les critères sacrés du réalisme que l'on juge le cinéma, comme s'il fallait respecter le solfège d'une langue française qui sonne juste, pour nos oreilles à nous, observateurs impitoyables, détraqueurs du mauvais goût refusant de s'abandonner à quelconque enfantillage devant un film d'aventure fantastique.
Alors oui, ces clichés sont très salés, et pour notre plus grand plaisir, on peut même s'en moquer ici et citer notre préféré, celui du professeur cherchant à déchiffrer une écriture ancienne, et son élève du moment faisant une réflexion à voix haute qui va alerter les sens du maître. "Attends... répète ce que tu as dit ? ... Mais oui, bien sûr... Marcel... tu es un génie !" Une réplique aussi savoureuse que les rires de la salle qui l'accompagnent.
Seulement voilà, les rires que j'ai entendus, conjugués aux miens, ne ressemblaient en aucun cas à de la raillerie, mais plutôt à un éclat sincère en réponse à une bonne vanne d'un ami cher.
Prenez Saturnin par exemple, un de mes amis chers comme on en a rarement. Et ben ce que j'aime chez ce mec, c'est sa générosité et son authenticité. Un type avec qui on s'ennuie jamais. S'il était un film, Saturnin serait Gueules noires.
Pas un seul instant on a l'impression qu'on va nous la mettre à l'envers par une pirouette scénaristique de feignasse comme les films du genre en regorgent souvent, pas une fois on ne ressent de la frustration dans l'enchaînement des scènes : ce film nous offre tout ce qu'il a, va au bout de ses idées, quitte à nous dévoiler sa maladresse, comme s'il comptait sur la bienveillance de ses spectateurs. Et si ce n'était pas ça, d'ailleurs, l'amitié : ne pas avoir peur de décevoir, tellement le regard de l'autre nous baigne de confort, de confiance. Avec Saturnin, on peut être qui on veut, et lui aussi, il sait qu'il peut dérailler, il sait que je lui pardonne tout.
Samuel le Bihan incarne parfaitement cette idée du film-pote, lui qui, en éternelle bonne pâte du cinéma français, délivre ses répliques avec dans les yeux la lumière du comédien qui s'amuse. Tout dans ce film respire le plaisir de raconter une histoire, un premier degré qui ne trompe jamais, un esprit humble et conscient de n'être qu'une proposition, sans théories ni artifices.
Ce casting jubilatoire est d'ailleurs complété par cette créature qui s'avère être une réussite totale. Sans doute l'un des prédateurs de cinoche les plus fascinants jamais invoqués. De son introduction timide quoique bien raccordée jusqu'à la révélation progressive des parties de son corps : tout dans la mise en scène parvient à nous faire ressentir la puissance et toute la terreur que pulvérise le monstre dans cette grotte.
La nudité du décor ne laisse pas le choix au réalisateur : c'est par la mise en scène que l'on progressera dans le film, et non par des coups de pouce narratifs rendus possibles par des zones de flou. Le terrain est sombre mais correctement cartographié malgré l'avarice de repères qu'il nous est donné de noter. Cette sincérité est fort appréciable, dans cette situation, le spectateur ne peut être berné.
Gueules noires convoque à la fois les frissons de l'enfance avec cette idée du monstre dans le placard et des aventuriers qui cherchent un trésor et les terreurs adolescentes à coups de jumpscare méta et d'effets gores cartoonesques qui prêtent à sourire. Le film n'oublie pas non-plus d'évoquer la condition ouvrière et le racisme globalisé, en bref, la lutte des classes, comme si les mots de Zola raisonnaient encore dans les mines de charbon, mais sans jamais verser dans le misérabilisme, privilégiant toujours l'émotion animale, l'organique, l'envie de survivre.
Putain Saturnin j'te kiffe !!!