Troisième long-métrage du réalisateur français Mathieu Turi qui commence à atteindre une certaine notoriété auprès des amateurs de cinéma de genre, Gueules noires est avant tout une plongée dans un contexte historique rarement abordé dans les salles obscures tout du moins dans leur conception contemporaine, celui des mines de charbon du Nord de la France dans les années 1950. En effet le sujet convoque instinctivement le travail littéraire d’Émile Zola et son roman Germinal qui traite des conditions de vie des mineurs du XIXe siècle ainsi que de lutte des classes.
Le long-métrage de Mathieu Turi partage avec celui-ci un contexte social fort même si l'époque est différente et met en lumière des problématiques qui y sont inhérentes. On découvre le travail effroyable auquel sont confrontés ces travailleurs de l'extrême plongés dans l'obscurité totale, la crasse et le danger permanent mais aussi le racisme sournois de cette société notamment vis-à-vis des communautés magrébines et le recrutement abusif de main d’œuvre étrangère. Toute la première partie du métrage est très solide à ce niveau et la reconstitution historique soignée et documentée. Elle est globalement utilisée pour introduire le setting ainsi que les personnages. A ce sujet le choix du casting est révélateur et cette volonté de brasser un spectre de comédiens venus de registres et de styles totalement différents est folle. Il en émerge Samuel Le Bihan très charismatique, Amir El Kacem qui est l'avatar du spectateur pour découvrir cet univers et Jean-Hugues Anglade l'élément perturbateur au jeu volontairement distingué et théâtral. Le mélange des cultures permet à ce microcosme d'exister en tant que tel. Chaque protagoniste véhicule son identité comme vecteur émotionnel et dramatique défini en partie par leur origine ethnique et qui structure la dramaturgie, permettant ainsi de créer l'empathie nécessaire au développement postérieur du scénario. Ça fonctionne dans l'ensemble pas trop mal.
Le réalisateur a par la suite l'audace de s'emparer de ce terreau pour le transformer en vrai terrain de jeu et y greffer des éléments hétéroclites. Il met en place un pur film d'aventures exotique avec ses nombreux codes tels que la recherche d'un tombeau et d'une civilisation antique, le déchiffrage d'un système d'écriture et embrasse par la même occasion une dimension fantastique en convoquant l'horreur et le film de monstres. Il y a dans tout ceci une vraie déclaration d'amour au cinéma d'exploitation et à la série B. C'est une démarche assez iconoclaste dans le paysage audiovisuel hexagonal mais que personnellement j'adore.
On pense bien évidemment à l’œuvre de Lovecraft pour l'appropriation de cette horreur cosmique dépassant l'entendement humain et de divinité maléfique adorée par une ancienne civilisation mais aussi à Alien pour le côté survival horrifique d'autant que Gueules Noires s'inspire beaucoup du travail plastique de H.R. Giger surtout pour sa créature Moknorot conçue par le sculpteur japonais Yoneyama Keisuke. Beaucoup de spectateurs ont reproché au film de dévoiler cette menace trop tôt, trop frontalement et de ne pas jouer davantage avec le hors-champ mais c'est à mon sens ce qui s'ancre encore davantage dans la générosité relative au bis de la démarche propre à Turi. D'autant que cette créature elle a de la gueule ! Ce côté osseux, sec et cette multitude de bras telle qu'en possède la déesse Shiva. Le mélange d'influences et de civilisations dans sa conception est intéressant. Alors oui c'est un animatronique mais moi ce côté artisanal et cette créature qui se déplace lentement en agitant ses membres ça me fait de l'effet surtout lorsqu'elle est utilisée dans une poignée de séquences iconiques et jouissives.
L'intelligence du réalisateur se situe aussi dans sa compréhension et dans sa pleine exploitation du lieu de la mine et de ses enjeux notamment scénographiques. C'est le décorum idéal pour créer une atmosphère anxiogène et pesante qui se ressentira tout au long de la seconde partie. Esthétiquement c'est appuyé par la photographie très contrastée d'Alain Duplantier qui est éclairée et traversée par les lampes frontales des protagonistes. L'homme sait comment donner du relief à ce type de décors et le travail sur la lumière contribue à créer un univers très découpé. Il y a ainsi une séquence terrifiante qui joue admirablement bien avec le mécanisme du flash à ampoule d'un appareil photographique.
Il y a des défauts et pas mal de petites facilités scénaristiques, on pourrait en redire sur la musique d'Olivier Derivière assez insipide et parfois même hors de propos mais cette proposition mérite amplement d'être soutenue et mise en avant. Un petit film comme n'aurait pu le faire qu'un Xavier Gens ou Christophe Gans il y a quelques temps et c'est tout à l'honneur de Mathieu Turi de convoquer un certain cinéma de genre à la française.