Gunda
6.7
Gunda

Documentaire de Viktor Kossakovsky (2020)

C’est le type de projet que je vois rarement, mais celui-ci m’a intrigué parce qu’il semblait en phase avec ma sensibilité. Le principe : de longues séquences documentaires suivant des moments de vie d’animaux de ferme, principalement une truie et ses petits, pas de voix-off, pas de musique, pas de couleurs.


C’est ce dernier point, additionné à des compositions soignées, à un rythme très lent et plus généralement à un sens aigu de l’esthétisme, qui éloigne le plus le film du documentaire animalier classique. Manifestement, le but du jeu n’est pas d’instruire ou d’informer. Non, le film est trop contemplatif pour ça (parfois un peu trop, mais j’imagine que ça dépend du point de vue).


Le vrai but, c’est transformer ce que la nature offre de plus banal et domestique (toutes les scènes se déroulent à quelques kilomètres de n’importe quel spectateur) en une expérience sensitive et bouleversante. C’est transformer les animaux les plus en bas de l’échelle, selon l’homme, en un spectacle de beauté non pas démesuré mais tranquille, modeste, à l’image de la vie qu’ils mènent. C’est émouvoir en créant une douce empathie qui rend belles les choses les plus simples..


Mais la beauté, évidemment, n’est pas une fin pour le film, c’est un moyen. Son projet est autre. Je m’en doutais en le commençant, c’est d’ailleurs pour ça que je l’ai commencé, et lorsque commence la deuxième séquence du film, avec ses poules déplumées et mutilées qui posent des pas hésitants dans l’herbe après être sorties d’une cage, plus de place au doute.


Oui, c’est un film qui déploie un projet esthétique et tous les moyens du cinéma pour questionner l’exploitation des animaux. Il a le mérite d'innover en renonçant aux mots et sans même qu’un humain ne soit présent à l’écran. Il veut redéfinir la façon dont ces animaux sont perçus en comblant le fossé qui nous sépare et pour ça, il montre, à leur niveau, une vie faite de moments beaux et complexes.


Le moment décisif où toute cette empathie se retourne, intentionnellement, contre nous, c’est le plan final, qui dure un peu plus de 10 minutes. C’est aussi modeste que dévastateur, voire douloureux, comme le cinéma documentaire sait si bien le faire. C’est ce vers quoi le film tendait tout du long et j’imagine que de nombreux spectateurs, attendris, ne l’auront pas vu venir.


Bref, toujours est-il qu’entre ce film et le futur Cow, d’Andrea Arnold, on dirait que le sujet commence à intéresser les réalisateurs dans une approche un peu plus “cinéma” que “tract”, et ça peut être intéressant de voir ce que ça va devenir.

ClémentLepape
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le 25 févr. 2022

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