" C'est beaucoup trop pour un seul homme que de devenir roi "
Ce film commence comme une retransmission télévisée (en beaucoup plus beau, les images sont magnifiques) d'un grand évènement religieux au Vatican, on sent peser comme une présence religieuse forte, au rythme de chants religieux et d'une grande procession d'hommes d'un âge avancé qui se meuvent tous lentement vers un but précis.
Mais, tout de suite, le ton est donné, dans cette salle magnifique de la Chapelle Sixtine, une voix commente les noms et fonctions des différents hommes toujours aussi imperturbables qui défilent sous nos yeux. On identifie enfin cette voix en la personne d'un journaliste un peu maladroit qui fait comme si ce reportage était l'annonce d'un grand évènement sportif, il nous promet même les commentaires du grand favori duquel il s'approche mais ce dernier ne lui adresse pas même un signe d'attention, c'est que la tâche qui l'attend le pèse, tout du moins l'importe bien plus que tout. Tous doivent élire un nouveau pape parmi eux et tous rêvent secrètement de ne pas être choisis, si bien (encore une belle bourde du toujours aussi comique présentateur) qu'il faudra deux votes pour trouver enfin une presque unanimité dans le choix du nouveau guide de tous les fidèles amassés, soit devant leur télévision, soit sous le balcon duquel ils attendent avec impatience le discours papale. Les scènes d'ores et déjà ne comptent ni s'empreindre de religion (on ne donne pas un message croyant ici), ni moquer l'église, loin de là, même si l'on rit beaucoup avec ce film (une salle entière à dire vraie), c'est parce-que la caméra, et l'excellent Nanni Moretti, se place à l'échelle humaine. L'église n'est qu'un prétexte à la beauté des couleurs, la grandeur des chants mais ce film aurait bien pu se passer en politique. Quoi que, donne-t-on autant d'importance à un chef d'état, certainement pas...
C'est une tâche bien rude que d'être Pape , c'est à la fois la consécration mais aussi le devenir d'un homme de dieu qui devient le porteur de tous ces hommes, femmes et états qui croient en cette nouvelle élection. Si bien qu'un évènement qui ne devrait concerné qu'une poignée de fidèles, on leur offre leur nouveau guide, embrase le monde entier, et ce monde dans sa quasi totalité a les yeux rivés vers ce balcon duquel s'échappe un cri aussi déchirant qu'humain, d'un homme qui "n'y arrive plus". Ce n'est pas sa foi qui décline mais une peur immense, une impression d'impuissance que même la toute puissance qu'il met en dieu ne peut guérir. Alors, l'excellent Nanni Moretti se coud un rôle sur mesure en la personne d'un psychanalyste qui n'a le droit de rien évoquer avec son patient mais doit tout de même le soigner et rester enfermé le temps que l'affaire s'arrange, lui qui voudrait retrouver sa femme qui pourtant l'a quitté parce-qu'il était meilleur psychanalyste qu'elle. Alors le pape doit partir rencontrer quelqu'un qui ne le connait pas, la femme du psychanalyste qui a une lubie d'analyse qui la rend moins encline à soigner qu'à écouter, cet homme dont elle ne sait rien lui explique sa joie d'être acteur. Puis, le pape s'envole, s'évapore, il quitte le monde du Vatican pour se mêler à la vie, prendre le bus et réciter à haute voix tel un fou un discours religieux (peut-être que tous les gens qui parlent à haute voix dans les bus sont des papes ou religieux apeurés qui ne peuvent remplir leur fonction). On suit donc le parcours de ce Pape dans le monde, d'un café à un cours de théâtre en passant par la voiture de sa thérapeute ou même une chambre d'hôtel dans lequel le réceptionniste est persuadé que le pape est mort et qu'on va en changer l'air de rien, l'idée mijote dans la tête du pape apeuré...
Pendant ce temps, Nanni Moretti, en même temps qu'il dirige son film, dirige aussi et tente de psychanalyser, les si humains cardinaux qui trichent, veulent gagner et prennent tous des médicaments plus ou moins forts pour vivre. D'en haut, on fait durer la supercherie, le pape est dans sa chambre, il va de mieux en mieux...
Alors, c'est une formidable démonstration de la force d'une masse, quand elle croit durement et fortement à quelque chose, qu'elle est capable de faire bien plus qu'elle n'en aurait été capable autrement. Tous ces cardinaux qui passent leurs journées à attendre, vont se rassembler en un comique et fabuleusement filmé tournoi sportif organisé par le psychanalyste qui voit dans la Bible, les signes de la dépression. Pendant ce temps, Picolli le pape essaie de remonter dans ses souvenirs, pour voir s'il n'a pas subit ce que sa psychanalyste appel "carences de soins"... Lui qui se plaint d'une sinusite psychique, sera aux centres de tous les discours mais aussi de tous les espoirs jusqu'au bout, cet acteur refoulé qui connait tout Tchécov sur le bout des doigts recevra l'ovation dont il rêverait en tant qu'acteur, de laquelle il est effrayé en tant que pape, dans une parodie de la scène qui aurait du être celle du balcon au Vatican.
Et puis, malgré tout, c'est certain "c'est beaucoup trop pour un seul homme que devenir roi.", enfin en tout cas pour un homme qui a l'humilité, la force d'accepter sa faiblesse et de comprendre qu'il a besoin en tant qu'homme d'être guidé et ne peut par conséquent pas guider. Malgré l'idée tenace qu'on lui assène que le seigneur l'aidera, il refuse d'être le Guide de tous les peuples alors que même un sermon, dans une église anonyme, ne peut calmer sa détresse psychologique. Il s'avoue vaincu et rend hommage à son dieu qui lui donne le courage d'avouer sa faiblesse, l'erreur de l'église. C'est un film athée mais profondément humain. Moretti sort de ce film grandi, Picolli acclamé et nous, on en sort apaisé, ivre d'humanité.