Si les personnages de la galaxie allénienne font virevolter notre rétine, c'est qu'ils nous apparaissent comme des astres à la gravitation toujours plus incertaine. C'est ici l'hypocondriaque hyperactif, le mari volage et l'artiste misanthrope qui tourneront en orbite autour de trois sœurs tout aussi ravissantes que subtiles. Ils sont tantôt gauches, parfois lâches, de temps à autre médiocres, mais toujours névrosés, et leurs destins s'entrecroisent au carrefour des échecs et des peurs. Avec la même ingéniosité narrative qui caractérise son œuvre, Woody Allen prend pour point de départ les relations amoureuses dans ce qu'elles ont à la fois de plus banal et complexe, et disserte à l'infini - jusqu'au vertige - sur le sens de la vie et de nos choix. Les sempiternels doutes et questionnements auxquels sont constamment confrontés nos héros nous parviennent par une immersive et non moins ingénieuse voix-off, savamment distillée. Cette intériorité vécue semble bel et bien être la marque de fabrique de ce film, qui brille également par sa façon de poétiser un New York irrésistible à chaque saison, et dont chaque élément architectural ou naturel participe d'une même effervescence - comme c'était déjà le cas dans Manhattan, quelques années auparavant.
A l'instar de nombre des œuvres du réalisateur new-yorkais, Hannah et ses sœurs marie savamment une ironie douce-amère, voire franchement pessimiste, à un humour d'une tendresse infinie. Que Mickey cherche insatiablement à sonder les voies impénétrables de la transcendance entre deux crises d'hypocondrie, qu'Elliott s'égare dans les sinueux méandres des balancements du cœur, qu'Holly accumule les déconvenues existentielles ou que les rivalités fraternelles battent leur plein n'y change rien. La scène finale, profitant d'une Thanksgiving qui sonne l'heure des réconciliations, vient nous rappeler que la vie et l'amour, seules et uniques certitudes, finissent par triompher de tous ces "pourquoi", et finalement de tous ces "peut-être".