Inutile de présenter Hannibal Lecter, figure emblématique du serial killer, dont l'image principal s'imposant à tout un chacun est probablement Anthony Hopkins sublimant le personnage, le regard fixe irradiant de folie dans Le Silence des Agneaux.
Naissant de l'imagination de l'écrivain Thomas Harris dans les sanglantes pages de Dragon Rouge, Hannibal Lecter se développe à travers Le Silence des Agneaux et Hannibal, avant que ses origines douteuses nous soient comptées dans un quatrième opus par Thomas Harris himself. Son adaptation filmographique révèle-t-elle un Hannibal Lecter dans toute sa macabre splendeur ?
Faute de quoi, nous assistons à une macabre prestation...
L'action se situe en Lituanie, lors de la Seconde Guerre Mondiale. La famille Lecter, contrainte de fuir le château familial, se réfugie dans un chalet au milieu des bois. Malheureusement, la mort aura tôt fait de les saisir, laissant orphelin le jeune Hannibal Lecter et sa cadette Mischa. Prisonniers de mercenaires tordus, ils connaîtront l'horreur. Le sort de la jeune enfant marque le bouleversement mental de celui qui deviendra le terrible tueur...
Recueilli par sa tante, c'est en France qu'Hannibal Lecter accomplira sa sombre vengeance.
L'intérêt de l'existence même de la narration des origines d'Hannibal Lecter se pose. Faut-il vraiment tout savoir ? Tout raconter ? N'est-il pas préférable de garder un passé sombre et mystérieux afin d'alimenter d'avantage le mythe du tueur mystérieux ?
A l'instar du Joker de Batman, Hannibal Lecter bénéfice de cette aura du tueur dont on ne sait rien, qui n'a aucune origine à nous offrir. Et c'est justement ce qui, à mon sens, fait tout l'intérêt du personnage.
Mais enfin, Hannibal Lecter Rising prend tout ceci à contre-pied afin de nous justifier l'émergence du mal. Et c'est bien là que le bat blesse... Aux antipodes du tueur que l'on connaissait jusqu'alors, il nous est ici présenté au mieux comme un anti héros, au pire comme un pauvre jeune homme à l'enfance brisée. Mais surtout, c'est d'avantage le comportement d'Hannibal qui dénote de sa description littéraire.
Ainsi, alors que le roman nous précise l'absence totale d'émotions sur le visage d'Hannibal lorsqu'il commet ses meurtres, Gaspard Ulliel laisse transparaître un sadisme évident. Pire, il se permet même quelques remarques teintées d'humour noir. Une véritable scission par rapport à son homologue littéraire, bien difficile à digérer...
C'est d'ailleurs d'une manière générale que l'acteur principal arbore un air sombre, sinon arrogant et narquois. Il semble toujours adresser un regard provocant à ses victimes, là ou la version littéraire insiste sur un flegme inébranlable et un détachement certain. On a donc un autre Hannibal, dont la personnalité se forge en dépit des caractéristiques offertes par son créateur.
Ma seconde grosse déception se porte sur le personnage de dame Murazaki (Gong Li) et sa relation avec Hannibal. Le charme de leur relation ambiguë est ô combien mal retranscrit. Alors que l'ouvrage nous dévoile un attrait certain pour la poésie avec l'échange d'haïkus couplé à une communion artistique et une sensibilité partagée (dame Murazaki a connu le traumatisme d'Hiroshima), ici il n'est point question de tout cela !
La relation est distante, froide et presque impersonnelle, là ou dame Murazaki était la seule capable d'éveiller de bons sentiments dans le cœur de son soupirant (à l'exception de Mischa bien évidemment).
Mais cette relation totalement plate, n'est-elle pas liée au traitement du personnage de dame Murazaki, ici totalement négligée ? On en vient même à se demander qu'elle est sa véritable utilité ? Sensée être la seule envers qui Hannibal se confie et pouvant potentiellement le canaliser, elle est ici fade, transparente; le suivant sans que l'on sache bien pourquoi (si tant est qu'elle en ait elle-même une vague idée...). Ni vrai soutien ni véritable gêne, son inutilité mène à une incohérence totale quant au développement soudain d'un sentiment amoureux, dont l'utilité au sein du scénario reste parfaitement discutable.
C'est là le plus gros travers du film, qui semble se baser uniquement sur le désir de vengeance d'Hannibal, sans se soucier des autres personnages.
Aussi l'inspecteur Popil qui conférait au roman son aspect thriller se révèle ici anecdotique, plutôt élément un tantinet gênant que véritable menace pour la liberté d'Hannibal. L’intrigue manque clairement de tension dramatique, et les meurtres surviennent de manière assez commune, sans que l'on ressente la véritable satisfaction de la justice accomplie par Hannibal, victime hier et bourreau aujourd'hui de ses bourreaux d'hier et victimes d'aujourd'hui.
Alors que reste-t-il à ce long métrage ? Une réalisation correcte, Peter Webber (réalisateur), offrant de bons plans de caméra, une direction artistique plutôt soignée. Mais au final, on ne peut s'empêcher de voir en ce film un hybride entre thriller et réalisation semi-horrifique, offrant ça et là quelques scènes de violence (édulcorée par rapport au livre). Enfin, Hannibal s'abandonnant au cannibalisme, sans que l'on comprenne bien pourquoi au final...