Et la lumière fut

C'est original de découvrir le film à l'origine d'une expression actuellement très en vogue, le gaslighting, et également troublant d’y voir des échos au récent L'Amour et les forêts. Ingrid Bergman incarne tout en élégance retenue une jeune femme manipulée par son mari sur une sombre histoire de tante assassinée et de bijoux perdus. Aiguillé pernicieusement par monsieur Anton, Paula se voit reprocher d’être distraite, perd des choses, se laisse persuader qu’elle perd la mémoire et est fragile, d’un caractère lunatique. Sa psyché est d’autant fragilisée par ce que son mari qualifie d’hallucination, elle qui voit les lumières au gaz faiblir chaque nuit lorsqu'elle est seule.

Georges Cukor réalise un magnifique thriller dans un décor inquiétant à souhait et servi par une photographie sublime tout en jeu d'ombres. Les costumes et en particulier les robes d’Ingrid Bergman sont magnifiques. Le duo d'acteur Bergman et Boyer est intense, ce dernier lui tournant autour et la plongeant de plus en plus dans l'isolement et le doute. Charles Boyer déploie un charisme fou et inquiétant dans ce rôle de mari prenant l'ascendant sur sa femme ainsi que sur les autres personnages de son entourage.

On pourrait dire que la présence des bijoux est presque superflue, mais peut-être était-elle nécessaire pour un film des années 40, qui aurait plus de mal à faire accepter un mari simplement toxique et manipulateur sans but ultérieur que la domination de sa femme, jusqu'aux derniers instants. La confrontation finale permet cependant à Paula de reprendre confiance en elle et en ses capacités et arraché enfin le masque de son tortionnaire.

Le film a vieilli sur un point, c’est son rythme, comme beaucoup des contemporains. On voit arriver très vite le petit jeu du mari, et on aimerait franchement que Paula réalise plus rapidement ce qu’il se passe. Mais l’ambiance, la fluidité de l’intrigue et l’interprétation viennent compenser pour moi ces faiblesses, et c’est un film que j’ai pris beaucoup de plaisir à regarder.