Douze ans. Douze ans que le premier Harry Potter est sorti au cinéma. Je n'avais même pas dix ans. Mais j'avais lu le roman au moins cinq fois. Je connaissais les dialogues, les descriptions, tout par cœur. Sa sortie, entre Halloween et Noël, était l’événement de l'année à l'école. Tout le monde en parlait, tout le monde voulait le voir.
Je l'ai vu à Cagnes sur mer, en VF, dans le cinéma Espace Centre où j'aurais aujourd'hui bien du mal à mettre les pieds. La salle était comble, la queue pour le voir faisait bien 100m dans la rue. Que des gosses et leurs parents. Pas mal de camarades. Tout le monde était surexcité.
A la sortie du film, j'étais émerveillé, ébahi. Je n'avais jamais vu ça. Probablement que j'ai du clamer haut et fort que ce film était mon préféré de tous les films. Le Seigneur des anneaux sortait deux semaines plus tard mais je n'en avais cure, c'était trop adulte, trop barbant pour moi et je n'avais jamais dépassé le chapitre sur l'herbe à pipe dans le livre, que l'on m'avait offert en attendant d'autres Harry Potter. Longtemps, j'ai du noter ce premier film 4.5/5 ou 4/5 sur les sites type allociné. Je l'avais depuis baissé à 7/10, par rapport aux autres films de la série, plus sombres, mieux fichus, plus adultes. Je pense encore que le Cuaron (Azkaban) est le meilleur (de loin), que Yates a fait de très bons opus (le 5 et le premier 7), mais en revoyant cet après midi le premier opus, je ne peux que le remonter d'un cran - presque deux à vrai dire.
C'est probablement le plus beau film de famille des années 2000. L'adaptation est fidèle et ne coupe pas trop de choses cruciales (contrairement au film de Jackson - le matériau n'est certes pas le même). L'univers est respecté et le film est très beau. Oui, certains effets numériques ont bien vieilli en douze ans. Le cours de Quidditch est assez cocasse - le match en revanche tient tout à fait la route. Quelques transparences liées aux décors naturels multiples du film (plusieurs châteaux, un bon point qui a ses effets boomerang en post prod) font mal aux yeux, mais bon sang, au plaisir de gosse de retrouver cette féerie enfantine légèrement ternie par des thématiques plus torturées (donc excitantes) s'adjoint l'immense plaisir cinéphile de voir enfin (!) le film en VO (j'ai du voir les Harry Potter en anglais à partir du 3 je pense), et de retrouver cette galerie d'acteurs épatants : Maggie Smith, Alan Rickman, Richard Harris (le premier Dumbledore, rappelons-le), et même tous ces acteurs enfants que l'on a vu grandir en même temps que nous et qui ont vite dépassé l'âge de leurs rôles respectifs. La crinière ébouriffée d'Emma Watson, le minois tout mignon de Radcliffe et de Grint, la tête à claque de Tom Felton, dont je n'aurais jamais deviné qu'il devînt si beau.
Outre ce voyage nostalgique et fortement bénéfique, le film a vraiment de bonnes qualités artistiques : si le scénario a ses défauts (quelques ellipses, quelques incohérences héritées du roman, encore imparfait), les décors sont magnifiques et les trouvailles visuelles réjouissantes. Vrai conte initiatique et film authentique d'aventures, on traverse avec un plaisir communicatif toutes les épreuves. La banque et ses rails délirants, le bestiaires varié, les tableaux animés, les sorts, et ce final grandiose en suite d'énigmes à déjouer. Le miroir du Risèd est une superbe trouvaille, que le film traduit impeccablement, tandis que la partie d'échecs finale est un grand morceau de bravoure. Et puis il y a John Williams, en grande forme, qui nous pond un de ces thèmes mémorables dont lui seul à désormais le secret. Il y aura eu Star Wars, Indiana Jones, Jurassic Park et quelques autres, il serait de mauvaise foi de ne pas compter Harry Potter dans le lot, sorte de grand mouvement symphonique, extrêmement mélodieux, qui emprunte toujours à Mahler son goût des airs populaires et triviaux. Sans cet accompagnement musical enchanteur le film ne serait pas ce qu'il est.
Autre intérêt, et pas des moindres : revoir ce film en ayant lu et vu tous les autres, en ayant bien digéré l'histoire. Pour faire simple, il suffit d'observer Rogue dans ce film pour déceler la finesse de construction de la grande intrigue qui sous-tend tout le cycle. Ce n'est d'ailleurs qu'un détail parmi d'autres qui sont grandement appréciables.
On reconnaît enfin le style de Colombus, très "sous-Spielberg" et gavé de bons sentiments : la manière dont il filme l'intérieur bourgeois où vivent les Dursley n’est pas sans rappeler le bon temps de la série des "Maman..." avec cette tête à claques de Culkin. Alors oui, le film est tout de même très enfantin et un peu mièvre, mais il constitue un divertissement et un dépaysement comme on en a vu peu depuis (honnêtement, quelle autre saga que le Seigneur des anneaux peut rivaliser avec celle-ci pour la décennie 2000 ?), qui n'a rien fait d'autre que de poser les marques du renouveau du genre. Désormais difficile de lancer une saga familiale (comprenez pour enfants / ados) sans un schéma actanciel qui soit pompé sur celui-ci, sans créatures merveilleuses du même type, sans le héros qui vient de rien, etc. Certes c'est bien le Seigneur des anneaux qui a initié tout ceci en littérature, mais au cinéma les deux cycles furent tout à fait contemporains. Ne boudons pas ce plaisir, il vaut de l'or.