Après l’énorme succès du cinquième film, le plus gros depuis le premier, David Yates est rappelé à la barre pour s’occuper du sixième opus. C’est la première fois qu’un réalisateur est derrière plus d’un film de la saga depuis le passage de Columbus. Mais vu ses bons résultats, et son statut évident de Yes Man, la Warner aurait eu tort de se priver. Un sujet tel que celui du Prince de Sang-Mêlé aurait pourtant parfaitement convenu à un Cuaron, entre l’atmosphère mystérieuse, la montée du sentiment de danger avec la guerre faisant rage à l’extérieur du château, et les tourments adolescents. Mais non, il faut se retaper Yates et son traitement très plan-plan, pour l’un des volets les plus faibles et problématiques de la saga dans son ensemble et qui, alors même que je ne m’intéressais pas encore vraiment au cinéma à sa sortie, demeure l’une de mes plus amères déceptions en salles.
Le principal problème du Prince de Sang-Mêlé, c’est qu’il passe à côté de son sujet. Remettons dans le contexte : le précédent volet se terminait à la fois sur l’officialisation du retour de Voldemort et la mort tragique de Sirius Black, parrain de Harry Potter. Le sixième film se devait dès lors de s’entamer sur une note plutôt noire : celle à la fois du début d’une guerre et du deuil d’une figure parentale. Autant dire qu’il vaut mieux oublier tout cela assez vite. Passé les deux premiers plans du film, en forme de mini-flashback, Harry n’en aura plus grand chose à secouer de son parrain. Quant à la guerre, elle sera rapidement évoquée par deux-trois éléments discrets (l’attaque du début du film et celle de la maison Weasley, la hausse des sécurités de Poudlard, …) mais de manière beaucoup trop anecdotique pour créer une vraie sensation de danger. On ne ressent tout simplement pas cette menace constante, l’idée qu’une attaque peut survenir à tous moments, que le monde n’est plus vraiment sûr.
Les créateurs du film ont préféré se concentrer sur un tout autre aspect de la saga : la romance. Le film prend donc un temps considérable à développer les différents axes amoureux de la saga, qu’il s’agisse de la relation entre Harry et Ginny Weasley, ou les tumultes traversés par Ron et Hermione, incapables de s’avouer leur amour mutuel. C’est déjà curieux en soi, pour une saga ayant toujours laissé l’aspect amoureux en arrière-plan, de soudainement en faire son attraction principale. Le quatrième film tentait déjà de planter les graines de la relation entre Ron et Hermione, et le cinquième d’offrir une première aventure romantique au sorcier à lunettes. Mais jamais au détriment de la trame principale. Le Prince de Sang-Mêlé prend ainsi des allures de teen movie bâtard, tentant occasionnellement de revenir à son sujet principal, trop brièvement. Ce ne serait pas embêtant si les romances en elles-mêmes n’étaient pas si mal traitées. L’histoire entre Harry et Ginny prend ainsi des allures très gênantes, comme lorsque la jeune rouquine propose de rattacher les lacets du héros, d’un air légèrement sensuel. Le malaise est encore là. L’alchimie entre les deux personnages ne prend pas, pas plus que celle entre Ron et Hermione, et les petits indices disséminés dans les précédents films ne suffisent pas à convaincre.
Du coup, les éléments réellement intéressants sont laissés de côté. On appréciera le personnage de Draco, qui sort un peu de son personnage de brute pour offrir un traitement plus empathique. En revanche, le professeur Rogue, toujours impeccablement incarné par Alan Rickman, est bien trop laissé en retrait dans un volet qui aurait dû lui faire la part belle. De même que la découverte du passé de Voldemort, réduite à ses scènes essentielles et manquant clairement de consistance. Le film a un clair problème de ton, entre des scènes voulues sombres et même glaçantes, et un ton adolescent léger et débridé, menant même parfois à des moments purement surréalistes (la scènes du Felix Felicis). Attention, le livre de Rowling est loin d’être exempt de tous défauts. Pensé comme le dernier tome « classique » de la saga, et une transition vers l’ultime opus, le sixième roman souffre lui aussi d’une trame trop en retrait et d’une irruption trop soudaine des éléments romantiques dans une histoire assez fortement asexuée jusqu’ici (et même après d’ailleurs, difficile de trouver plus débridé qu’un baiser dans l’univers de Rowling, problématique quand on ambitionne de parler d’adolescence). Mais le papier permettait à l’écrivaine de plus aisément jongler entre les différents points d’intrigue et thématiques de l’œuvre, là où un script de cinéma se doit de concentrer intelligemment ses informations, pour délivrer au mieux l’essentiel.
Le film est donc mal emmené, trop hésitant, et également assez mal rythmé, le rendant nettement moins agréable à suivre que le cinquième volet. Et ce n’est pas la réalisation de Yates qui sauve les meubles. Le cinéaste est peut-être un poil plus inspiré que sur le précédent film, quelques plans tirent leur épingle du jeu. Mais c’est pour mieux trancher avec des séquences tout simplement mal foutues : la fameuse attaque du Terrier, complètement incongrue et illisible à cause d’une shaky cam excessive, ou bien
La mort de Dumbledore, expédiée en deux pauvres plans et dénuée de tout impact émotionnel, malgré l'importance du personnage.
. D’autant plus que la photographie atteint ici une laideur record. Toute l’image du film semble être passée par une multitude de filtres pour lui donner un semblant d’identité, mais le tout est bien trop baveux et paraît assez artificiel, on se croirait presque chez Zack Snyder, l’homme qui fit de l’artificialité une patte artistique. Bref, le film tente de se donner un cachet visuel, mais échoue lamentablement, je préférais encore la photographie absente du cinquième film. Yates est pourtant aller recruter le français Bruno Delbonnel, ayant auparavant travaillé pour Alain Jeunet, et à l’œuvre plus tard chez les frères Coen. Preuve qu’un artiste mal dirigé peut accoucher d’un travail regrettable.
En parlant d’être mal dirigé, il convient de mentionner que la direction d’acteurs est, une fois de plus, complètement hasardeuse. Les adultes s’en sortent tous plutôt bien, sans doute parce qu’eux savent jouer sans direction. Parmi les jeunes, on retiendra surtout Tom Felton qui ne se débrouille pas mal du tout, et Emma Watson, définitivement la plus douée du trio. En revanche, le reste alterne entre le médiocre et le catastrophique. J’ai du mal à comprendre comment Daniel Radcliffe peut dégager si peu de choses, l’acteur semble n’en avoir rien à cirer de ce qui se passe autour de lui la plupart du temps, son visage reste figé et ses gestes maladroits. C’est vraiment gênant de le voir à l’écran. La même chose peut être dite d’Evanna Lynch, irritante en Luna Lovegood, et Bonnie Wright est juste transparente dans le rôle de Ginny. Je tiens malgré tout à mettre en avant la prestation de Michael Gambon, qui pour une fois livre un Dumbledore convaincant, avec tout ce qui sied au personnage : de la sagesse, un profond calme et un brin de malice. Il était temps, surtout vu la place du directeur dans ce volet précis.
En attendant de revoir l’ultime opus de la saga, Le Prince de Sang-Mêlé demeure le volet le plus faible à mes yeux. Ses énormes maladresses d’écriture sont amplifiées par une réalisation ininspirée au possible, et il remplit un rôle bien misérable en tant que transition vers la dernière partie de l’histoire. Du gâchis.