La Rhénanie prussienne au milieu du dix-neuvième siècle, ça a l’air chouette comme tout… entre les lois d’oppressions des aristos du coin, les disettes chroniques, les épidémies à rallonge et le temps tout détraqué part cette satanée grande comète de 1843, ça donnerait presque envie de prendre ses cliques et ses claques et de changer d’air…

Un peu partout en Europe et souvent pour les mêmes raisons, la tentation de l’émigration bat son plein, le Nouveau-Monde est à la mode, les Hongrois rêvent de Canada, les trois quarts du continent bavent d’avance à l’idée de participer à la conquête de l’Ouest et pour nos amis Teutons, allez savoir pourquoi, la terre promise s’appelle Brésil.

C’est ce qui hante Jakob, le fils du forgeron du village qui nous intéresse ici. Bien qu’entouré d’analphabètes, le jeune lecteur assidu parle couramment cinq ou six langues en plus des dialectes amazoniens, et, tel le héros du film que Kazan tourna cinquante ans auparavant avec une toute autre force, notre jeune ami ne respire que pour son objectif ultime : l’Amérique…

Et bien, c’est sympa comme tout la vie des pécores d’alors, le lapidaire s’allonge devant sa roue à aube, le tisserand fait la navette, notre forgeron rêve d’une machine à vapeur et les fêtes du village à la confiture se terminent bien souvent précocement au fond d’une ruelle propice…

Notre héros est un tire-au-flanc de compétition, chouchou à sa maman de surcroit, il préfère lire au travail minimum, ce que je comprends sans tout à fait pardonner et pour ce George Bailey local, un périple de vingt kilomètres en radeau n’est qu’un avant goût des rencontres indiennes qu’il se promet bien d’avoir au plus vite…

Ce qu’il y a de bien avec Heimat c’est que je comprends enfin les longs discours de ce bon Shammo sur l’œuvre pantagruélique d’Edgar Reitz, même si, curieusement, les trois ou quatre années choisies ici réduisent un tantinet l’épopée familiale promise et je suis peut-être resté frustré en terme de souffle et d'envergure.

C’est proprement mis en scène et reconstitué, mais sans plus, ça permet au moins de suivre agréablement l’histoire ce qui est supposé être le minimum mais qui se fait de plus en plus rare en ces temps de jachère cinématographique. Les petits effets de couleurs sont à mes yeux inutiles dans un noir et blanc qui manque cruellement de lumière, mais c’est anecdotique, ce qui me gêne plus c’est de ne pas me sentir particulièrement concerné par les pérégrinations de notre petite famille… Gizmo suppose que le réalisateur est un peu trop vieux pour faire frémir aux amourettes assez fadasses de notre moulasse rêveuse, ce qui n’est peut-être pas faux, c’est surtout aussi que tout cela m’intéresse de loin sans m’émouvoir, et c’est dommage, parce que la vie des bouseux au dix-neuvième dans un film-fleuve, c’est exactement le genre de choses qui me passionne d’ordinaire…

Ceci dit, ne soyons pas sévères, on ne s’ennuie pas une seule seconde pendant les 3h45 de la projection, enfin, pardon, des projections puisqu’un distributeur malhonnête et misérable a préféré arbitrairement trancher le film en deux histoires de nous faire raquer doublement à la caisse, procédé vil et répugnant qui devrait lui valoir un joli nombre d’années de purgatoire en plus, ce qui n’est qu’une demi-consolation pour ses victimes les moins rancunières.

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le 3 nov. 2013

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Torpenn

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