Avant de recevoir son prix de la mise en scène, c’est surtout par sa violence que Heli a fait parler de lui lors du dernier Festival de Cannes. En racontant comment une modeste famille mexicaine se retrouve involontairement mêlée à un trafic de drogue, Amat Escalante plonge effectivement le spectateur dans une sombre spirale où règnent la peur et la brutalité. Pour autant, en venir à reprocher au réalisateur cette violence et la qualifier de provocante (Culturebox) ou de sensationnaliste (Les Inrocks) relève presque du non-sens. Bien plus gratuite est la violence des blockbusters hollywoodiens qui tendent à la banaliser en l’aseptisant et en lui enlevant tout caractère choquant. Dans Heli, la violence perturbe c’est vrai. Parce qu’Amat Escalante la traite frontalement, en fait le centre névralgique de son film, pour dénoncer justement sa prolifération dans le quotidien de la société mexicaine.
Cela ne veut cependant pas dire que Heli va verser dans le gore ou la surenchère. C’est la mise scène néoréaliste, les plans séquences, les plans fixes, la photographie proche du documentaire qui augmentent l’impact de la violence. Ainsi la fameuse séquence de torture, qui a fait couler tant d’encre, n’est pas beaucoup plus insoutenable dans ce qu’elle montre que certaines de 12 Years A Slave par exemple, mais c’est par son écriture et sa mise en scène qu’elle perturbe. La torture a lieu au milieu du salon d’un des tortionnaires, en présence de toute sa famille. Les enfants sont invités à cesser leur jeu vidéo pour regarder le spectacle. Une femme sort de temps à autre la tête de sa cuisine pour jeter un œil à ce qui se passe dans la pièce voisine. Un enfant se voit remplacer sa manette de jeu par une batte pour frapper l’homme torturé, tandis qu’en arrière plan, la télé continue de diffuser le jeu de combat auquel il jouait auparavant. Amat Escalante veut donc avant tout dénoncer l’enracinement et la prolifération de la violence dans le quotidien des Mexicains. D’ailleurs si l’on regarde bien, les séquences de violence ne sont pas si nombreuses, mais c’est par leur aura psychologique qu’elles marquent le film. Les quelques minutes éprouvantes de la séquence de torture vont ainsi envahir l’esprit du spectateur, comme la multiplication des images d’exécutions dans les journaux mexicains fait sombrer la population dans un climat de peur, comme cet événement traumatisant va bousculer Heli. La seconde partie du film se centrera ainsi plus sur la violence psychologique, sur les tourments internes du personnage principal. Amat Escalande sonde alors la part de violence qui existe en chacun de nous, et comment un sombre climat environnemental peut l’exacerber, comment la spirale de la brutalité peut se propager.
Mais résumer Heli à un film noir et glauque serait aussi réducteur. Il y a chez ces personnages, pourtant confrontés à un quotidien difficile (la réalité sociale du Mexique est d’ailleurs parfaitement rendue), des lueurs d’espoirs. Et dans la mise en scène d’Amat Escalante aussi. Ne serait-ce que dans ces quelques plans sur des paysages apaisés. Ou, derrière l’aspect documentaire parfois rude, dans ces élans de poésie dans la composition de certains plans. Ou encore dans ces façons sublimes de capter par moment la lumière. Et puis, il y a cette fin, qui conjugue tous les thèmes du film, accalmie au sein d’une spirale tempétueuse.