Quand j’étais marmot, j’avais un voisin dans mes âges qui possédait deux frères bien plus âgés. Son aîné était amateur de films d’horreurs, et dans sa chambre, où nous nous glissions parfois pour regarder des films avec Van Damme, Schwarzenegger, ou Stallone, il y avait plein d’affiches, et de photos découpées dans des magazines. L’une d’elles était celle de Pinhead, le cénobite principal de ce qui était alors une trilogie.


Cette photo me terrifiait. Au point qu’une nuit je fît un cauchemar, dont je me souviens encore aujourd’hui. Poursuivie par Pinhead, je me cachais dans la cabane du jardin de mes parents. Plaqué contre une paroi en dessous d’une fenêtre, je voyais Pinhead passer, accompagné d’autres Cénobites générés par mon imaginaire.


De fait, durant des années j’ai évité ce film, qui me faisait peur plus que de mesure. Ce qui fait que je l’ai découvert relativement tard. Trouvant le DVD dans un magasin d’occaz’, alors dans ma vingtaine, je me décidais à passer à l’acte. Il était temps que j’exorcise cette phobie ridicule envers un objet dont je n’avais vu qu’une image. Qui correspond d’ailleurs plus ou moins à l’affiche, donc à la jaquette du DVD.


‘’Hellraiser’’ fût comment dire, une sorte de révélation. Au premier visionnage, j’avais depuis un petit moment un parcours bien entamé dans l’exploration de l’horreur au cinéma, donc j’avais croisé ‘’pire’’, laissons dire, que cette production de 1987. Et pourtant il imprégna mes rétines comme rarement des œuvres d’épouvantes horrifiques ont pu le faire.


Car ce premier ‘’Hellraiser’’ est ce qu’on peut qualifier véritablement d’expérience pour quiconque le découvre. S’enfonçant dans l’exploration sordide des tréfonds les plus malsains de l’âme humaine, pour en ressortir ce qu’elle peut avoir de plus putrescente.


Sombre, glauque et diffusant une certaine notion du désespoir, l’ambiance du métrage est savamment dosée entre une horreur des plus viscérale (les effets gores sont en ce sens absolument géniaux et dégueulasses), et une réflexion des plus poussée sur ce que peuvent être les limites infinies entre le plaisir ultime et l’apothéose de la douleur.


Tourné en huis-clos, le récit s’organise autour d’une boite en bois (dite de Lemarchand) qui lorsqu’elle est décodée, s’ouvre, et attire quiconque la manipule dans les limbes de l’enfer. L’arc narratif du métrage se construit autour de Frank, un type abject et égoïste, qui après avoir ouvert la porte des Enfers regrette un peu, et décide de s’enfuir pour revenir dans notre monde. Ce qui ouvre l’intrigue principale, que je ne spolierais point ici.


On ne s’échappe pas des enfers. Si on y va c’est pour y rester. Quiconque s’enfuit est alors poursuivis par les Cénobites, des démons de la souffrance sorti du plus profond des entrailles de la Terre. Leur look, qui fait passer Indochine pour Mon Petit Poney, est un mélange ordonné entre la souffrance physique, avec ces chairs mises à nues et les corps décharnés desquels se dégagent une sorte de sagesse morbide, qui fait froid dans le dos.


Les Cénobites ont absolument tout pour être des plus terrifiants. Mais en fait ils ne tuent personne, ils ne font que venir chercher ceux qui leur ont échappés. Ceux qui rependent la mort ce sont des humains avides de sensations, ce qui témoigne d’une forme de faiblesse. Puisqu’au final les Cénobites ne sont que les ambassadeurs un peu BDSM d’un univers parallèle fait de souffrance et de jouissance.


Ceux qui jouent avec le cube de Lemarchand connaissent son pouvoir, mais n’imaginent pas à quel point il est puissant, et que cette porte d’entrée vers un royaume où la jouissance extrême règne en maître, si tant est que l’on accepte une souffrance physique des plus intenses, est un aller sans retour. Si une personne en appel aux Cénobites, c’est qu’elle est prête. Normalement. Sauf quand on est un guignol, comme Frank.


Les innocents, des victimes qui n’ont rien à se reprocher, sont épargnés par les Cénobites. Puisque dans le métrage ce que Clive Barker met en exergue est une opposition entre le bien et le mal, avec la prouesse de ne pas tomber dans un manichéisme facile. La différence réside dans deux personnages : Kirsty, l’adolescente confrontée à cette expérience hyper traumatisante. Et Frank, son oncle muni d’une âme des plus obscures. Ils servent tous deux de bornes, autours desquelles s’organise le récit.


Inspiré d’une de ses nouvelles, l’écrivain britannique Clive Barker a mis lui-même en scène ce premier film. Fasciné par la douleur physique, et le champ des possibles en matière de plaisir physique, sa manière de présenter des corps mutilés, n’est pas sans rappeler le genre du ‘’body horror’’, dont David Cronenberg s’est fait un ambassadeur. Sauf qu’à la différence de ce dernier, Barker apporte une dimension plus métaphysique.


En effet, il essaye dans cette œuvre de convoquer une forme de théologie parallèle au christianisme, pour explorer des contrées infernales et interdites, à la recherche d’un anti-hédonisme, ou la sensualité ultime se traduit par une volupté de la souffrance. Et l’univers mis en place va encore bien au-delà.


32 ans après sa sortie ‘’Hellraiser’’ demeure une œuvre assez unique qui, au-delà du gore et de l’épouvante, reste un métrage très moderne, de par ses thématiques universelles et intemporelles, et une intelligence d’écriture qui vient bousculer son audience, livrée à un spectacle parfois difficile à regarder. Le tour de force de Barker résidant dans l’ambiguïté qu’il met au service de son histoire.


‘’Hellraiser’’ est une œuvre intelligente, dans laquelle son auteur a pu mettre toutes ses obsessions, et les thématiques qui parcourent son œuvre littéraire. Qui se retrouvent aussi dans les deux films qu’il réalisera par la suite. Écrit, produit et réalisé par Clive Barker, ce métrage existe dans son unité, et n’a nul besoin des suites, se suffisant totalement à lui-même. Puisque l’univers exposé est d’une grande richesse, et plusieurs lectures sont nécessaires pour percer les mystères, créant une forme de fascination. Le film soulève beaucoup de questions, sans forcément apporter de réponses. Ce que vont malheureusement s’évertuer à faire les multiples suites qu’il connaît.


Véritable chef d’œuvre du genre, ‘’Hellraiser’’ est un film unique, qui accuse parfaitement le poids des années, n’ayant rencontré que peu de prétendants dans son genre. Et ce ne sont pas les neuf suites qui parviendront à le redescendre de son piédestal, sur lequel il risque de trôner durant encore de nombreuses années. Jusqu’au jour où Clive Barker lui-même reviendra derrière une caméra pour proposer une œuvre complémentaire à son coup d’essai, qui fût un coup de maitre. Heil Pinhead !



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le 10 févr. 2020

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