En découvrant Hellraiser : Le Pacte, je m'attendais à tomber sur un énième Slasher culte mais inspiré d'une quantité d'autres oeuvres (particulièrement Les Griffes de la Nuit), et dont la principale raison d'exister était de réinventer toujours plus violemment la façon de mettre à mort des adolescents au comportement peu orthodoxe. Vous vous en doutez surement si vous l'avez déjà vu, j'avais entièrement tord.
Entièrement, pas tout à fait non plus : on ressent, dans les visuels de l'autre-monde, l'ombre planante du Nightmare on Elm Street de Wes Craven dans les couleurs, l'horreur organique digne des pires cauchemars, et cette façon si particulière d'iconiser la monstruosité en la montrant sous son jour le plus sale. C'est à peu près le seul point sur lequel j'ai retrouvé une partie de mes préjugés, préjugés qui se sont révélés erronés aux vues de la dimension et de la direction inattendues que Clive Barker a décidé d'emprunter.
Car ce premier Hellraiser, loin d'être un film sanglant pour divertir, est une oeuvre qui massacre pour mieux raconter : raconter le destin de cette famille à première vue modèle, mais qui renferme de sombres histoires, raconter aussi le cheminement physique, intellectuel et progressif de cette adolescente pure qui se retrouve confrontée aux horreurs du monde, à ses superstitions, ses vices et dont la seule certitude semble être, en fin de parcours, que rien ne peut aller bien si l'on décide de vivre seul.
Le choix pertinent de se consacrer aux changements profonds que l'adolescence entraîne sur la personnalité et l'être même du jeune adulte, l'est encore plus une fois qu'il décide d'aborder lesdits changements par le prisme de la modification corporelle fantastique et de la destruction des âmes horrifique (à la manière d'un Cronenberg encore plus obsédé et jusqu'au-boutiste). Parce qu'il détruit tout ce qu'il touche en se servant du gore pour raconter l'histoire universelle de cet âge d'incertitude et de doutes, Hellraiser prend une portée toute autre que celle de la majorité des films du genre.
En ce sens bien plus proche de la réflexion générationnelle du solide Exorciste de Friedkin que de la majorité du catalogue horrifique tenant des psycho-killer de l'époque, ce premier film de Clive Barker fascine par le soin apporté à l'esthétique du morbide, du glauque, parfois même de ce qu'on pourrait qualifier de "dégueulasse", sans jamais tomber dans la gratuité de ses crimes, piège dans lequel s'engouffre une quantité de films du genre écrits avec un soin bien moindre.
Il y a comme une logique dans son univers, une organisation parfaitement pensée et retranscrite avec un grand soin par le travail d'architecture de son oeuvre : la construction de son écriture, propre et exemplaire, de ses décors à l'architecture unique et marquante, de ce plan de visite de la maison, lieu de tous les vices pouvant incarner la vie de péchés qui s'offre à notre héroïne adolescente (Kirsty, interprétée par l'impressionnante Ashley Laurence), établissent un lien, volontairement ou non, avec le sidérant travail d'architecture et de symétrie du Shining de Kubrick.
La dynamique familiale, laissée en proie aux atrocités du monde, ne peut se trouver que perturber par le retour à la vie des tromperies bien cachées : c'est cette maison, que l'on découvre en même temps qu'eux, qui va se charger d'établir le lien entre la mort et le plaisir (thématique essentielle à l'oeuvre de Clive Barker), où se retrouveront les amants qui tueront ceux qui se croyaient amants, et le lien entre le monde des vivants et celui des Cénobites, lieu où se livrer aux pulsions qui assaillent tous les personnages adultes (du mari aimant et soumis à la femme fatale manipulatrice et meurtrière).
Il faut de la force pour ne pas céder à l'appel des Cénobites, une force apportée par le petit copain de Kirsty : à l'adolescence, face au monde qui s'offre à nous et qu'on ne comprend pas (qui nous effraie même, parfois), le réconfort à peine découvert de la relation de couple devient comme un phare dans la nuit, une lanterne pour se diriger dans les abysses des vices d'une famille modèle qui se désagrège sous les pulsions jugées comme répugnantes et nocives des adultes.
Ces adultes, Kirsty ne voudrait pas leur ressembler, et c'est en se débarrassant de la malédiction des Cénobites, alors que sa famille biologique part en lambeaux jusqu'à se voir détruite par ses propres obsessions (et par extension celles de son auteur, Clive Barker), qu'elle s'impose aux yeux du monde en tant que femme pure puisqu'aimée d'un amour qu'elle juge véritable, loin de ce pauvre père décédé de son manque de personnalité, et de cette mère maudite par son âme impure.
Eux, à deux, n'auront plus qu'à se soutenir jusqu'à la fin de leurs jours pour rester purs et se préserver des pulsions d'un monde de plaisir et de mort. Enfin, jusqu'aux derniers jours de leur adolescence, à la découverte des premiers signes qu'ils sont devenus des adultes, conscients que le plaisir et la mort ne sont, dans ce monde comme dans celui des Cénobites, que les faces d'une seule et même pièce.