Quel genre de pulsions peut bien pousser un homme à tuer des gens de sang froid ? On peut parfois tenter de déterminer les racines du mal dans l’enfance d’un tueur, comme celle d’Henry, qui ne sera que brièvement esquissé au détour d’un dialogue. Sa mère était une prostituée qui l’obligeait à se travestir et à assister à ses ébats. De ce déséquilibre est née cette rancœur qu’il éprouve pour les femmes comme sa mère, un fusible qui a probablement disjoncté pour que l’homme se mue en équarisseur sans âme et sans compassion. Le film dresse un portrait très brut(ale) de ce serial killer qui aurai confessé plus de 600 meurtres, enfin si tenté qu’il les ai réellement commis, puisque seulement trois d’entre eux lui seront réellement imputés. John McNaughton s’écarte donc volontairement de la réalité pour esquisser une série d’homicides probablement fantasmé par son auteur, afin de tourner son film en 16mm dans un format se rapprochant d’un documentaire suivant le quotidien imaginaire d’un tueur.
Henry va donc tuer sans jamais se justifier d’une quelconque motivation, mais bien par pulsion, avant de transmettre le relais à Otis, un dealer qu’il va rencontrer et convertir à sa passion. Très vite, Otis y prend goût, jouissant d’abord par procuration en filmant les atrocités commises avant de lui-même en devenir l’auteur et de tomber dans un engrenage sanguinaire autodestructeur. La violence ne souffre d’aucune complaisance, elle n’est souvent que suggéré grâce à une utilisation intelligente du montage et du hors-champ comme la disparition de cette auto-stoppeuse que Henry ramasse sur la route, et dont il ne restera que la guitare comme ultime témoignage dont héritera son compère Otis. Quant les meurtres sont montrés, ils ne sont jamais édulcoré ou sublimé par un quelconque effet de mise en scène mais bien traités frontalement dans leur laideur et amoralité, sans aucune distanciation.
Quand Otis et Henry repasse le film des évènements, avachis sur leur divan, le réalisateur semble nous dresser un miroir déformant et moralisateur en nous interrogeant sur notre propre rapport à notre voyeurisme malaisant, cet étrange sentiment qui nous entraîne à s’intéresser aux tueurs en série, à braver les interdits pour se confronter à la mort, que ce soit par l’intermédiaire de la rubrique fait divers, ou bien par le prisme plus dérangeant d’un snuff movie comme celui qu’Otis rembobine maladivement en boucle comme d’une vidéo pornographique catalysant ses émotions et ses déviances inassouvis. On serait tenté de penser que les deux tueurs ne sont pas si différents, et pourtant dans sa folie, Henry dénote une forme de « pureté » qui le rapproche des légendes comme Mickael Myers car tout comme lui, il n’affiche ni émotion, ni frustration et ne tire aucune satisfaction de ses actes aussi barbare soit-il à l’inverse d’Otis, petit homme narcissique, sournois et pervers en quête d’approbation par le reflet qu’il renvoi dans son écran de télévision.
Henry Portrait d’un Serial Killer fait partie de ces péloches underground viscérales qui marquent durement le spectateur de son empreinte. On peut tout à fait concevoir qu’il soit difficile d’apprécier à sa juste valeur une telle œuvre sertie d’une pointe d’absurdité, d’un humour macabre et de beaucoup de cruauté, mais le fait est qu’il délivre une profonde touche de compassion et de tristesse une fois passé la stupeur des premiers assassinats. Lorsque Henry a l’occasion d’atteindre une forme de rédemption, il ne la saisit pas, préférant l’enfouir au fond d’une malle qu’il va abandonner sur le rebord d’une route paumé, annihilant tout espoir ainsi que sa dernière étincelle d’humanité.
Si toi aussi tu es un gros frustré qui en a marre de toutes ces conneries, eh bien L’Écran Barge est fait pour toi. Tu y trouveras tout un arsenal de critiques de films subversifs réalisés par des misanthropes qui n’ont pas peur de tirer à balles réelles.