Bon, j'étais conquis d'avance. Il n'y a qu'une chose qui puisse outrepasser mon envie de braver la foule en conspuant un film plébiscité: la technophilie. Oui, j'en ai marre de ces gens qui citent Huxley et Murray, sortis d'un autre siècle, pour m'expliquer comment le monde court à sa perte depuis qu'on peut regarder du porno sur son smartphone (la double lie des passéistes: l'immédiateté et le sexe généralisé). Alors forcément, quand le peu profilique Spike Jonze, qui m'avait particulièrement touché avec son Max et les Maximonstres (je me souviens à peine du reste néanmoins), se décide à faire un film dans lequel le smartphone devient le porno, Némésis des Némésis, incarnée par le timbre suave de Scarlet Johansson, j'approuve jusqu'au bout des ongles, j'en ai des frissons même, à l'idée de tous ces croûtons déviés de l'académisme de Thomas Couture au point d'en perdre leur chevelure de gendre idéal.
Inutile de s'attarder sur le pitch: prenez une romcom basique, remplacez Matthew McConaughey par Joaquin Phoenix, et Kate Hudson par un croisement entre un iphone et un porte-cigarette, et vous obtenez dans les grandes lignes le vaste programme de Her. Un looser attachant en instance de divorce qui cède à l'onanisme avec la voix de Scarlett Johansson, donc, et qui tente tant bien que mal d'en contrôler et d'en concrétiser la virtualité. A partir de là, Her s'esquisse tout en allers/retour, entre légèreté et gravité, entre sensiblerie et romantisme, entre comédie et drame. Le dialogue est constant, et l'imbrication de l'élément sexuel se fait de lui-même, via des dialogues crus, drôles, grotesques, qui transforment le spectateur en voyeur de téléphone rose, jusqu'à un ultime acte de bravoure à mi-chemin, une scène de sexe à deux voix aussi improbable que lyrique, posée là maladroitement mais surtout courageusement. Her est comme ça, un peu chaud, un peu froid, avec son alternance de parenthèses niaises et de scènes denses, avec ses paraboles intelligentes sur la technologie et, à contrario, son dénuement moral: oui, Her fait du bien, avec son audace discrète, son anticipation qui n'en est pas vraiment une, son casting au poil et son absence totale de cynisme. On pourrait parler longtemps des chemins de traverse esquissés par le film de Spike Jonze, de l'ambivalence identitaire de ses personnages (ses OS prosaïquement asexués, ce Théodore tour à tour homme, femme ou enfant, selon les besoins de son métier), de son universalisme mélancolique ou de son ancrage idéal dans son époque, si la trivialité de sa mise en scène, abusant d'effets parfois redondants, mais opérant là encore un aller/retour délicat entre pellicule et numérique, ne nous rappelait pas à la simplicité candide de son propos. Tout n'est pas blanc néanmoins, et le résultat aurait été parfait avec quelques coupes plus franches dans les sempiternelles balades au bord de mer de Théodore et Samantha; parfait en une heure quarante plutôt qu'en deux heures tout pile. Mais ne crachons pas dans la soupe: les électrons libres sans arrière-pensées tels que Her sont rares, et une telle captation de l'air du temps, aussi naïve et bourrue soit-elle, n'en est que plus précieuse.