Cette critique peut contenir quelques petits spoilers. "Her" est pour moi la première petite claque cinématographique de 2014. Théodore Twombly (Joaquin Phoenix) est un homme sensible et intelligent perdu dans une jungle urbaine folle (L.A / Shanghai) où le virtuel et la technologie règnent en maître. Spike Jonze dépeint ici un monde (à peine) futuriste assez étrange mais tellement croyable et cohérent qu'il en devient quasiment palpable, un monde vers lequel on tend d'ailleurs inéluctablement. Blessé sentimentalement par sa récente séparation et par son divorce imminent avec son amour de toujours, il cherche à palier sa solitude et ce manque de multiples façons dont l'une consiste à s'inscrire au dernier programme informatique moderne qui s'adapte à sa personnalité et choisit donc une voix féminine comme interlocutrice...
Il rencontre alors Samantha (Scarlett Johansson). Une simple voix sortie tout droit de l'OS en question qui va pourtant devenir petit à petit, son vis-à-vis au quotidien. Une secrétaire, une conseillère, une amie, une psy… une moitié qui le complète, un peu comme une personne que l'on connaîtrait intimement sur internet au fil de liens tissés par des dizaines de longues conversations, sans pour autant l'avoir vue "in real life". Elle est pour lui la voix de son équilibre presque retrouvé, et il est aussi pour "elle", celui qui, souvent, lui fera regretter de ne pas être une personne de chair et de sang...
La réalisation globale de "Her" est dantesque. De la mise en scène à la direction artistique, en passant par la musique (les canadiens d'Arcade Fire) et la photo, tout est extrêmement soigné pour notre plus grand plaisir. Les acteurs… Joaquin Phoenix est peut-être mon acteur préféré. J'adore tous ses rôles en général mais je le trouve dans "Her" d'une justesse ahurissante, il crève juste l'écran. Amy Adams est géniale aussi, même Olivia Wilde dans son "petit" rôle est parfaite, tandis que Rooney Mara joue à merveille cette ex-femme terre-à-terre qui s'oppose tellement à Theo. Quant à la voix de Scarlett… c'est un film à voir en version originale. J'ai été touché et happé de bout en bout par ce côté mélancolique patent et omniprésent, le point fort du film à mon avis (son ambiance), ainsi que par l'extrême solitude de Theo, cet homme qui cherche un peu l'amour où il le peut à une époque que je trouve assez effrayante. Le soucis du détail aidant je ne me suis pas ennuyé une minute et chaque scène semble être à sa place et a son importance, rien ne m'a paru manquant ou même superflu.
Ce qui frappe durant le film, outre le fait que Théodore refuse d'avoir une relation sérieuse et durable avec Olivia Wilde (humour), c'est que tout comme lui on en oublie presque que Samantha n'est qu'une "voix dans un ordinateur" et qu'elle est irréelle. Et peu à peu la limite entre le virtuel et le réel se brouille, les deux se confondent même. Mais cette réalité implacable reprend finalement bien le dessus lorsque se pose la question des rapports charnels dans un couple, puis de l'exclusivité des sentiments... Des interrogations qui d'ailleurs sonneront le glas de leur relation. Le film soulève donc diverses problématiques passionnantes aussi bien sur le plan sociétal et technologique (le côté science-fiction) que sur le plan des rapports humains (le côté comédie dramatique), les deux faces étant intimement liées tout au long du métrage. C'est cette richesse, couplée aux multiples niveaux de lecture et à cette réalisation proche de la perfection, avec des acteurs tout bonnement phénoménaux, qui font de "Her" ce qu'il est, un film remarquable qui s'impose par son intelligence. Je finirai juste en citant cette phrase simple d'Amy, mais que j'ai pourtant beaucoup aimé:
"Nous sommes ici que peu de temps,
Et tant que je suis là je veux pouvoir m'autoriser à être heureuse."