Here – Les plus belles années de notre vie par Beorambar

Zemeckis fait partie de ces cinéastes qui ont marqué toute une génération à une époque et qui pour des raisons difficilement identifiables semblent avoir complétement perdu leur public à partir d’un moment, qui se situe comme pour Burton, aux alentours de l’an 2000. Mais à en croire les premiers avis, Here pourrait incarner le grand retour du cinéaste, peut-être même son chef-d’œuvre pour certains. Lui qui a toujours cherché à repousser les limites de la technologie s’essaie désormais au rajeunissement numérique avec son acteur fétiche Tom Hanks, et tout le reste de l’équipe de Forrest Gump. Le dispositif sur lequel repose tout le film paraît de premier abord assez audacieux : tout est montré depuis un point de vue unique, un salon, et c’est uniquement à travers le temps que nous allons voyager, de l’extinction des dinosaures à aujourd’hui, à défaut de se déplacer dans l’espace.

Après visionnage, il s’avère que Here est effectivement le film d’un cinéaste, un film bien plus personnel que les précédents, et donc un film qui a toutes les qualités et tous les défauts du regard de Zemeckis sur le monde. Et le regard de Zemeckis sur le monde, c’est qu’il n’aime pas regarder le monde. En tout cas, c’est ce qui ressort d’un tel film et qui explique toute l’entreprise du cinéaste. Zemeckis veut émouvoir, émouvoir avec des bons sentiments, avec des personnages gentils, comme il a déjà tenté de le faire avec Forrest Gump. C’est probablement très sincère de sa part, mais l’ennui, c’est que cette guimauve est fondamentalement incompatible avec le monde réel. Bien sûr, rien n’oblige un cinéaste à montrer le monde tel qu’il est réellement, d’ailleurs ce serait impossible et cela n’aurait pas beaucoup d’intérêt, mais plutôt que de filmer le monde selon un point de vue qui serait le sien, au risque de paraître naïf ou simpliste, il décide purement et simplement de ne pas filmer le monde, de le fuir. Alors il fabrique cette espèce de bulle, ce salon, ce point de vue unique ressemblant à une case de bande dessinée, chaleureux, cocon rempli de personnages gentils où le monde extérieur est enfermé derrière les barreaux d’une grande fenêtre.

Il faut insister sur ce dernier point. Ce ne sont pas les personnages qui sont enfermés dans cette maison, comme les personnages d’Amour de Haneke, autre film en huis clos où il est question du vieillissement, enfermés dans leur appartement, mais c’est bien le monde extérieur qui, dans Here, n’existe pas. La maison est devenue le monde extérieur et tout ce que la fixité du huis clos, de ce cadrage unique, pourrait impliquer en termes de mise en scène est conjuré par Zemeckis : les plans fixes risqueraient de s’étirer, mais les sauts dans le temps n’arrêtent pas d’interrompre les scènes alors même qu’elles ne durent que depuis vingt secondes, le décor risquerait d’être toujours le même, mais la décoration change elle aussi tout le temps, le fait d’être à l’intérieur constamment pourrait être étouffant, mais on remonte régulièrement suffisamment loin dans le temps pour se retrouver quinze seconde dehors, avec que la maison ne soit construite à l’emplacement de la caméra. Et les sauts temporels eux-mêmes sont fluidifiés de manière à ne pas donner l’impression que l’on arrête une scène trop brutalement, avec des transitions progressives à base de cadre dans le cadre. Tout ça pour dire que Zemeckis ne fait pas un film d’intérieur par opposition au monde extérieur. Il fait un film où l’intérieur se substitue à l’extérieur. Il recrée un monde qui lui qui convient mieux que le vrai, un monde où tout le monde est gentil, même dans les moments difficiles, même dans les moments de dispute.

Un monde qui veut tellement échapper au réel qu’il est INTÉGRALEMENT numérique et c’est là que ça commence vraiment à poser problème. On a là un degré d’esthétique numérique jamais atteint pour un film aussi intimiste. On est incapable de voir une différence entre ce qui est vrai et ce qui est en CGI dans le cadre, pas dans le sens où les CGI semblent vraies, mais bien dans le sens où tout est tellement trafiqué, lissé et retouché que plus rien n’est crédible, et au-delà des textures, ça va jusque dans les mouvements beaucoup trop parfaits et inhumains des personnages. Quand quelqu’un lance une balle vers l’écran, la trajectoire de la balle paraît trop fluide et fausse, quand quelqu’un souffle ses bougies d’anniversaire, on a l’impression que les flammes sont fausses. On est constamment dans la vallée de l’étrange, dans la séquence avec les dinosaures on se demande ce qui s’est passé pour avoir en 2024 des effets spéciaux qui paraissent en retard de dix ans sur le premier Jurassic Parc. Non seulement c’est laid, mais ça traduit un refus complet chez le réalisateur de capter des choses avec sa caméra, saisir ce que lui n’aurait pas vu ou prévu dans un plan, filmer l’accident, et ça conduit chaque séquence au cliché. Une situation, quelle qu’elle soit, sera toujours spécifique et différente d’un film à l’autre. Mais quand tout est calculé et artificiel et qu’en plus les scènes ne durent qu’entre dix et quarante secondes, chaque situation est alors vidée de tout ce qui la rend unique, et elle devient automatiquement clichée. On peut prendre pratiquement n’importe quelle situation de ce film, elle sera réduite à son expression la plus convenue, elle n’a pas le temps de devenir autre chose dans cette bulle complétement factice.

Tous ces défauts sont en soi absolument cohérents entre eux et traduisent bien quelque chose du regard de Zemeckis, de la façon dont il veut représenter la vie, le monde. Heureusement, dans les vingt dernières minutes, ce regard prend un peu en maturité et s’écarte de toute cette guimauve très naïve. Les scènes se posent un peu plus, parfois même la musique est mise de côté, et Zemeckis parle du temps qui passe avec une certaine amertume, avec ce couple qui ne s’aime plus sans raison particulière, juste parce que le temps a passé, et pendant quelques minutes, c’est assez beau. Vingt minutes qui sauvent un peu le film sur la fin.


Beorambar
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le 16 nov. 2024

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