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le 20 oct. 2018
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Ghostland face à Hérédité : deux visions de l’épouvante qui recyclent de vieilles figures connues (maison hantée, spiritisme, rednecks). Mais d’un côté on a un enfant qui s’amuse avec ses décalcomanies (Pascal Laugier), de l’autre un adulte (Ari Aster) qui recherche de nouvelles formes de terreur à imprimer sur la pellicule.
Déjà, notons l’opportunisme non feint de Laugier : en 2008 il sortait le torture porn Martyrs alors que les suites Saw de James Wan et Hostel d’Eli Roth signaient l’essor d’un nouveau sous-genre, extrême, du cinéma d’horreur. Visiblement, James Wan, petit faiseur très surestimé mais Roi de l’Horreur au pays du box-office, est le Dieu de Laugier. Car ce sont maintenant les Conjuring, réalisés par James Wan, ainsi que ses dérivés Annabelle, qui inspirent Pascal Laugier. Cette série à succès met en scène une poupée démoniaque ? Dans sa logique de suiveur, le réalisateur Français peuple donc Ghostland de poupées-qui-font-peur. Mais elles sont ici partout, dans chaque recoin d’une maison qui réunit tous les poncifs du train fantôme. Rappelons qu’à ce jeu là, Alexandre Bustillo et Julien Maury s’étaient montrés autrement plus créatifs (et flippants) dans Livide (2011).
Cette politique de l’excès sous toutes ses formes (paroxysme atteint dans l’hystérique Martyrs, qui jouissait, à sa décharge, d’une dernière partie dénuée de toutes limites) conduit dans Ghostland à plusieurs choix grotesques. Il y a des jump scares dans le cinéma d’épouvante ? Laugier sature son dernier film de jump scares jusqu’au ridicule. Et parce que Laugier a sans doute vu Psychose et Massacre à la tronçonneuse, il flanque Ghostland d’un travesti (attention, vous tenez là sans doute la seule raison de l’interdiction aux moins de 16 ans du film) et d’un géant neuneu, collectionneur de poupées, qui porte un tablier (tiens, comme Leatherface). Pour rester dans le registre « je connais mes classiques », le nom de Lovecraft est martelé jusqu’à la nausée dans les quinze premières minutes. Ghostland n’est pas un film, c’est une accumulation de clichés et de références. On nous rétorquera peut-être qu’il se veut être un hommage au grand-guignol, mais le sérieux papal de l’entreprise va clairement à l’encontre de cette théorie.
Le cinéma de Laugier conserve cependant, il faut l’admettre, sa patte à lui. Sa patte, c’est celle du scénariste. Et comme il ne fait jamais les choses à moitié, ses films se distinguent toujours par un twist qui se veut sidérant. Twist il y avait dans Saint-Ange et Martyrs, twist il y avait dans The Secret. Très logiquement, twist il y a dans Ghostland. La seule question qui se pose, quand on connaît le cinéma de Laugier, est celle du quand. Quand comprendra-t-on, dans ce film là, qu’on s’est fait berner une fois de plus, pour « donner du sens » à défaut de donner des images pour nourrir ses cauchemars ? Chez Ari Aster, pas de twist, pas de scream queen, pas ou peu de jump scare. Le réalisateur d’Hérédité prend tout son temps pour poser les jalons d’un conte démoniaque, et semble avoir cumulé une montagne de visions effrayantes dans sa besace depuis le succès de son court-métrage The Strange Thing About the Johnsons (2011).
Le premier plan d’Hérédité, un superbe travelling avant vers une chambre d’une maison miniature, nous projette dans la vie d’une famille bourgeoise, confrontée tout à coup à des événements surnaturels. S’il reprend sans arrière pensée moqueuse le bon vieux thème de la possession, Ari Aster propose avant tout un portrait très touchant de ses personnages, les Graham, confrontés d’abord au deuil (et à ses dommages collatéraux dans la cellule familiale), puis à l’étrange, puis enfin l’indicible, exalté dans dernière scène pétrifiante. Le réalisateur Américain a cette science du malaise, qu’il fait naître d’un carton de livres-photos jaunis, d’un paillasson kitsch, d’un bruit de bouche, d’une cabane d’enfant, d’un repas de famille ou du visage d’une jeune fille aux traits atypiques (comme pouvaient l’être ceux de Sissy Spacek dans Carrie).
La sidération dans Hérédité ne survient jamais quand on s’y attend, et c’est ce qui rend cette descente en enfer familiale si douloureuse pour le spectateur, une famille dont chaque membre peine à communiquer, un lourd secret enfoui dans la conscience. Annie, la mère, miniaturiste, tente d’exorciser son chagrin par la minutie de ses reproductions. Steve, sévère, austère, mais père aimant. Charlie, solitaire, dont on se demande si elle ne serait pas autiste. Et Peter, plongé dans les volutes de sa pipe à hasch et les yeux des jolies filles de son lycée. Tous semblent imperméables au bonheur et à la légèreté. Si bien que le climat, par ailleurs très réaliste, est incroyablement pesant, et autorise une belle épure de moyens horrifiques, tous très humbles (cf. la scène où Joan, du groupe d’entraide dans lequel se rend Annie, interpelle Peter de l’autre côté d’une route, comme celle de l’étouffement de Charlie).
Si Hérédité s’impose comme le meilleur film d’épouvante depuis It Follows c’est qu’il partage avec lui cette faculté de construire sur des fondations du genre bien connues, pour ne pas dire éreintées (possession et spiritisme donc), des édifices singuliers, qui font émerger de nouvelles figures dans le champ lexical du cinéma de genre (entité invisible et transmissible par le sexe dans It Follows, ici le Roi Paimon, dans un final d’anthologie).
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Créée
le 5 janv. 2019
Modifiée
le 4 juin 2024
Critique lue 149 fois
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