Film de genre, échappant à son propre genre, High Life ne peut qu'être déroutant. Mais la déroute ne se joue pas qu'au plan formel, elle déploie ses trames dans le narratif.
Le scénario tient en un aperçu, une esquisse : des condamnés à mort sont envoyé dans l'espace afin de faire de recherche qui pourraient sauver l'humanité. Des personnes au ban de la société sont condamnés à l'errance absolue, voyage qui pourrait rapporter quelques perles de savoir. Il y a quelque chose de la Nef des fous dans cette entreprise. Et un vieux professeur dans un train traversant un paysage dévasté pourra bien se révolter contre ce traitement inhumain, mais l'inhumanité est déjà là et marche.
Ce qui marque en premier lieu, c'est l'absence d'Histoire. Ce qui rattache le vaisseau au reste de l'humanité sont des bribes d'images semblant être prise sur des veilles VHS. Ces images sont la négation de l'Histoire :
Dans son secteur le plus avancé, le capitalisme concentré s’oriente vers la vente de blocs de temps « tout équipés », chacun d’eux constituant une seule marchandise unifiée, qui a intégré un certain nombre de marchandises diverses. C’est ainsi que peut apparaître, dans l’économie en expansion des « services » et des loisirs, la formule du paiement calculé « tout compris », pour l’habitat spectaculaire, les pseudo-déplacements collectifs des vacances, l’abonnement à la consommation culturelle, et la vente de la sociabilité elle-même en « conversations passionnantes » et « rencontres de personnalités ». Cette sorte de marchandise spectaculaire, qui ne peut évidemment avoir cours qu’en fonction de la pénurie accrue des réalités correspondantes, figure aussi bien évidemment parmi les articles-pilotes de la modernisation des ventes, en étant payable à crédit.
Ce que nous dit Debord dans la Société du Spectacle, c'est que le temps se vend mais celui-ci passe par la forme de la marchandise. Les images diffusées dans les téléviseurs du vaisseau sont de cet acabit : images de matchs, de films hollywoodiens. Tout un style de vie. Or précisément ce temps-marchandise n'est pas articulé à une historicité, il est simplement présenté, fétichisé en tant que tel. D'ailleurs ces images n'auront plus d'attrait pour Monte, le personnage principal. Et la narration elliptique d'High Life ne peut que prendre place dans une absence d'Histoire.
L'histoire pourrait se finir dans le contrat entre la société et les prisonniers : ils se sacrifient, mais l'humanité sera reconnaissante pour les avancées qu'ils pourront rapporter. La rédemption serait le mot final, or celle-ci s'achève dans le viol, le meurtre, dans la gueule des chiens. L'errance vers un savoir se sanctionne par la mort. Et il n'est pas sûr que l'humanité existe toujours – en dehors de la Stultifera Navis, isolée dans l'espace, dans les silences infinis.
Au sein de ce néant, il y a tout de même un autre mouvement, celui qu'on pourrait qualifier de vitaliste. Un vitalisme enfanté par une puissance négative. Au-delà de la quête énergétique voué à l'échec, il y a celle incarnée par Dibs consistant à faire naître malgré les radiations. Seule figure scientifique de l’équipée, seule figure chamanique aussi. Au dépit de toutes les avancées scientifiques, le sexuel reste toujours ce nouage noir, entre sorcellerie, procréation et mystère. Et c'est bien le témoignage de la science-fiction : nous pouvons imaginer le progrès technologique le plus total, certaines questions continueront de persister.
Tout le reste du groupe sera assujettit à la volonté de faire naître. Une fois la naissance advenue, une césure doit s'accomplir : ceux étant du côté de la vie restent, les autres dérivent.
D'ailleurs, il n'est pas étonnant que le seul pouvant donner la vie, Monte, choisi l'abstinence et s'occupe tel un moine du jardin. Il fallait appartenir à des choses plus haute que le sexuel, que la reproduction, c'est-à-dire plus haute que soi (nul mysticisme ici, la vie est impersonnelle). On pourra remarquer aussi que les deux morts volontaires (Dibs et Tcherny) sont le fait de personnes ayant déjà donné quelque chose : la naissance d'un enfant.
Un père et son enfant restent. On se demandera toujours pourquoi ça tient, pourquoi il n'y a pas de fêlure dans un milieu aussi fermé, qui ne cesse de s'auto-entretenir. Jusqu'au moment où tout commence à dégrader. Le moment final, se plaçant dans la même dimension du 2001 de Kubrick, mais en étant sa négation, n'est rien d'autre que l'apothéose du déracinement. Une trace persistante pour nous.