"Prostituée, poule, pute..."
Avec "Histoire d'une Prostituée", Seijun Suzuki nous emmène sur le front de Mandchourie où une garnison de l'armée impériale japonaise occupe ce territoire. Lorsqu'un groupe de filles de joie arrive, Harumi est l'une d'entre elles, et elle va se retrouver courtisane attitrée du violent officier de garnison.
Après l'avoir présenté comme une femme rêvant d'amour et d'une vie stable mais trompé par l'homme qu'elle aimait, Suzuki braque sa caméra sur elle et son arrivée dans l'armée où très vite elle va se retrouver sous la violence et la cruauté du chef et pour s'en défaire approcher un soldat soumis à celui-ci dont elle va tomber amoureuse. Femme forte et courageuse, elle entend bien se rebeller mais n'arrive guère à modifier les rapports de force. Suzuki met en scène un vrai portrait de femmes acceptant d'abord sa condition pour ensuite vraiment rêver d'une vie meilleure, un portrait dont il retranscrit à merveille toute la cruauté et l'émotion qui en découle.
Mais derrière ce portrait de femme se cache surtout une charge contre l'armée. Finalement, en restant une grande partie du film dans le camp, il montre que leurs principaux ennemis ne sont autres qu'eux-même. Il met en avant la façon dont elle modifie les hommes, dont le grade devient le plus important et permet notamment au chef de n'avoir que du mépris pour ceux qui sont en dessous de lui. Une armée où le code d'honneur est au-dessus de tout et même de l'amour, seule la victoire compte, bien plus que les femmes, le plaisir ou l'alcool. Finalement, il montre comment l'armée transforme les hommes en des pantins déshumanisés et il en fait ressortir toute l'horreur mais aussi l'absurdité de ce constat-là. Il met aussi en scène une armée impérialiste japonaise désireuse de conquérir la partie pacifique de l'Asie.
L'atmosphère du film est sombre et pessimiste, il y a très peu d'espoirs dans ce qu'il met en scène et l'avancement de l'histoire le confirme. Suzuki joue avec le contraste de la belle photographie en noir et blanc et utilise bien la musique qu'il a à sa disposition, participant à cette atmosphère. Sur la forme, Suzuki use de cadres reflétant ce qu'il désire mettre en scène, à l'image de ses plans sur le visage des protagonistes et plusieurs scènes le reflètent bien, que ce soient ceux sur Harumi, le final ou même l'attroupement des soldats/pantins lorsque les filles de joie arrivent, montrant là leur frustration sexuelle. Sa direction d'acteurs est d'une grande justesse, les interprètes sachant faire ressortir soit l'émotion, soit l'absurdité de leur sort.
Un film sombre et pessimiste bénéficiant de la justesse et de la maîtrise de Suzuki, mettant en avant l'absurdité et l'horreur de l'armée à travers l'histoire de cette prostituée. (Merci à Kalopani pour la découverte du film et en même temps d'un cinéaste dont c'est ma première, mais surement pas ma dernière, exploration)