Dès son deuxième film, Tsui Hark démontrait avec une maestria rare pour si peu d'expérience toute l'étendue de la folie de son cinéma à venir. Au travers d'une histoire grotesque (un village reculé de cannibales dans un film d'arts-martiaux) et propice à des situations aussi cocasses que sanglantes, cette Histoires de cannibales est une oeuvre complètement folle et d'une hystérie impensable qui ne laissera aucun répit au spectateur surpris de tomber sur un délire aussi poussé.
Expérience évidente servant à déterminer le point d'arrêt de la capacité du cinéaste à repousser les limites du faisable, il parvient à rester constamment sur la corde raide qui différencie le bon du mauvais goût, le comique efficace du gras lourdingue, avec toujours cette fraîcheur propre dans la mise en scène, de cette caméra volante affranchie des lois de la physique et des capacités habituelles de mise en scène des réalisateurs de films de kung-fu.
Elle multiplie les angles audacieux, les prises de vue qui voltigent avec une fluidité folle, préfigurant déjà (on n'est qu'à son deuxième film, rappelons le) les fulgurances visuelles et chorégraphiques de ses deux chefs-d'oeuvre, Il était une fois en Chine et The Blade (ainsi que sa violence graphique chaotique). Une fois de plus et toute comme avec son premier film, l'étrange Butterfly Murders, Hark y gère l'horreur de façon très spéciale, la tournant la plupart du temps en dérision, quand il ne la révèle pas sous son plus jour le plus sale, crade, direct.
Il y a dans Histoires de cannibales cette drôle de manière de passer d'un sanguinolent ridicule à des images marquantes par leur cruauté presque gratuites, la plupart des phases comiques étant collées au personnage principal, parodie réussie des personnages cinématographiques habituellement clichés du détective et du maître de kung-fu, et transmises par un autre protagoniste essentiel à l'intrigue, le voleur comic-releef proprement insupportable et au surjeu hystérique au premier abord désarçonnant.
Plus leur relation évoluera et plus cet humour lourdingue et pas souvent drôle gagnera en finesse, en malice; cela passe aussi par un re-qualibrage du jeu d'acteurs du duo, rendu à la fois plus attachant et crédible dans l'intrigue. Disons qu'ils passent du statut de stéréotypes de comiques à celui de véritables compères acteurs du scénario, et qu'on aime finalement suivre au moment des combats.
S'il est une chose d'évident au sujet de ces derniers, c'est qu'on les suit avec une grande surprise, alors qu'on se demande souvent jusqu'où le réalisateur sera capable d'aller dans son délire (autant visuel que scénaristique), et quelles limites il posera à ce qu'il est décent de montrer et les horreurs trop inacceptables pour les esthétiser. Ce n'est bien sûr pas du niveau d'un Cannibal Holocaust, mais il demeure ultraviolent pour son genre de films d'arts martiaux habituellement porté sur l'honneur des combats (pas la traîtrise et le démembrement) et l'esthétisation de la suggestion (ici, l'horreur est montrée de plein fouet, tenue par des maquillages qui n'accusent ni son budget ni le poids des années).
Un film étrange, entre le burlesque et le répugnant. Il n'y avait que Tsui Hark pour parvenir à rendre pareil résultat à un stade si reculé de sa carrière. Un délire.