Panah Panahi signe un joli road movie assez drôle sur les routes iraniennes, oscillant entre burlesque et inquiétude sourde. Le film est visuellement éblouissant et parfaitement maîtrisé.
Une famille iranienne est en route vers une destination secrète. A l’arrière de la voiture, le père arbore un plâtre, mais s’est-il vraiment cassé la jambe ? La mère alterne rires et larmes. Leur petit garçon ne cesse de blaguer, de chanter et danser. Tous s’inquiètent du chien malade. Seul le grand frère reste silencieux.
Le film se passe 80% du temps de la voiture et le pari est réussi. Jamais statique, le film parvient à insérer sa caméra dans la voiture, sans faire trop d’effets. Le film ne sent pas l’effort et le dispositif est maîtrisé. La bonne idée d’enfermer ses personnages dans une bagnole permet de créer une promiscuité, source de friction. De plus, l’aspect clôt et exigu du véhicule permet d’apporter un supplément d’anxiogène bien venu.
C’est que le film balance habilement entre burlesque et anxiété. Le burlesque vient bien sur de cette promiscuité imposée, source de frictions. Le plâtre du père prend toute la place, tant dans la voiture que sur l’écran. L’enfant trop jeune pour comprendre la situation est de facto en décalage (le réalisateur abuse peut-être de mignonneries). La mère a son petit caractère. Ca s’engueule, ça rit. Il y a des ruptures de tons. Et tout d’un coup, l’angoisse surgit. Cela peut venir d’une voiture qui semble les suivre ? Est-ce la police ? L’armée ? Non, c’est un conducteur qui souhaitait leur indiquer une fuite dans leur moteur. Cette séquence est assez révélatrice de l’ambiance du film.
Derrière l’aspect comique, fantaisiste, se cache une vraie âpreté. Discrète, celle-ci se manifeste quand on ne l’attend pas. C’est cette voiture qui semble suivre la famille, c’est le visage inquiet de la mère, ce sont les larmes d’une mère séparée de son fils, ou le mutisme du fils aîné mais dont le regard traduit son appréhension (mais de quoi ?). A ces moments d’angoisses, Panahi les contrebalance avec de beaux moments de poésie. Un moment parmi d’autres, une sonate au piano jouée en extradiégétique et à l’image, le fils qui joue sur un piano dessiné sur le plâtre du père.
Le film est très accompli visuellement. Les cadres sont savamment composés, mais sans nécessairement être ostentatoires. Les paysages sont somptueux mais curieusement assez déserts. Quand la famille sort de sa voiture, c’est pour se retrouver dans des paysages rocailleux vides. Pas de représentant de l’autorité. La menace est omniprésente mais invisible.
Les acteurs sont exceptionnels. Evidemment, le petit gamin est parfait. J’ai beaucoup aimé l’actrice qui joue la mère : Pantea Panahiha. Elle a un visage particulièrement expressif. Tantôt sévère, tantôt drôle, tantôt caractérielle, elle parcourt avec aisance la gamme des sentiments. Mais j’ai surtout apprécié la composition de l’acteur qui joue le frère aîné. Mutique pendant presque tout le film, tout se joue sur son visage. Silencieux la plupart du temps, Il apporte une vrai présence dans ce très bon film.