On n’est jamais mieux servi que par soi-même ? Pas sûr. Adapter son propre roman à l’écran est un exercice pour le moins périlleux. Des mots aux Images, du pareil au même ? Pas vraiment. Certains ont su transposer avec brio leurs formules sur la pellicule (Dalton Trumbo et son sublime Johnny s’en va en guerre), d’autres y ont laissé quelques dents, ou plutôt quelques pages d’égo esquinté. Car même avec l’intention de « trahir » son best-seller Les Terres Saintes, Amanda Sthers, auteure touche-à-tout, ne parvient pas à en isoler une ligne directrice purement cinématographique.
Où est passée cette nécessité d’accepter le silence ? Le film ne semble pas vouloir le laisser entrer, alors même qu’il se voudrait observer le silence entre les êtres. Néanmoins, Holy Lands intrigue, étonne et n’existe dans un premier temps que pour son synopsis extravagant, entre Une Histoire Vraie et Le Cochon de Gaza, construit sur cette absurdité menant à une inévitable tendresse : un vieux juif apostat bien décidé à s’établir comme éleveur de porcs en Israël. Peut-être est-ce cette originalité apparente qui poussa James Caan à donner corps à ce vieil emmerdeur sympathique aux allures de Walt Kowalski (Clint Eastwood), troquant sa Gran Torino pour Babe, un cochon à Nazareth ? Dommage que l’œuvre ne soit pas de l’acabit de son concept.
« Un début, un milieu et une fin », James Caan en a fait sa maxime, à valeur d’aphorisme, lors de sa masterclass à la Cinémathèque en décembre dernier : une formule qui résume son attachement tout particulier à ces films qui racontent des histoires en quelque sorte. Mais il en oublierait presque que le cinéma est aussi une affaire de mise en images, et d’entre-deux, et non d’ellipses qui ont tout de sauts de pages. Puisque le manque d’unité narrative d’Holy Lands, enchaînant points de vue et décalages horaires, conduit à l’égarement du spectateur, désintéressé. Un comble pour un film qui cherche à renouer des liens et recoller les morceaux cassés. Comme le reflet de cette famille dysfonctionnelle, incapable d’exprimer ses sentiments, si ce n’est dans un éloignement.
Des névroses aux cochons, Amanda Sthers ne sait jamais comment orienter son récit : sans chemin, si ce n’est celui des dysfonctions, des prêtres fanatiques et intégristes aux lettres dansantes des sentiments, Holy Lands compose sa salade de tranches de vies sans assaisonnement ni envie. Peut-être aurait-elle dû orienter son film vers cette absurdité porcine ? Car Holy Lands manque cruellement de piment et de liant : tout semble désincarné, incontrôlé et chaque tentative de repartie mordante (ou autres saillies piquantes) n’existe qu’au sein d’un récit éclaté, aussi sage qu’éparpillé. Tel un ensemble d’inserts narratifs parasitant l’essence même du récit ; ne serait-ce qu’au travers de ce dramaturge en pleine création, traduisant ses peines, ses maux, en danses de colère, émotives et personnelles. Amanda Sthers tente pourtant péniblement d’approcher un cinéma choral, entre Woody Allen, Philip Roth et Danièle Thompson, là où ses images ne subliment que trop peu les blessures intimes : les plans sont purement descriptifs, et les images ne racontent jamais davantage que le visible ; sans émotion ni sensation, que de la surface et des lamentations.
Holy Lands se voudrait pourtant cet hymne au vivre-ensemble, contre tout extrémisme, une œuvre bâtie sur des personnages « gris », de visions et de raisons, vivant dans la confrontation et la recherche d’un consensus. Telle une invitation à panser les fractures qu’elles soient familiales ou géopolitiques. Et par cette vision fédératrice, le film se rapprocherait presque de l’élan humaniste de Green Book, construit dans un même académisme, et interrogeant les limites de la tolérance, de manière d’autant plus virtuose. Son exploration multithématique, au croisement des religions et des dialogues aporétiques, en ferait presque un cousin éloigné du Poirier sauvage. Peut-être y aurait-il un peu de ce fruit biscornu dans Holy Lands ? Mais difficile d’y voir autre chose que des imperfections.
Car même si Holy Lands invite à la réconciliation, filant tout du long sa métaphore du conflit israélo-palestinien au travers de cette fracture familiale, il n’en demeure pas moins une œuvre où l’empathie a des allures de caricature : le vieil éleveur de cochon (qui plus est en terres saintes), le fils homosexuel, la femme cancéreuse, comme le début d'une blague belge, sans gaufre ni chute, sans rire ni chou de Bruxelles. Et ce ne sont pas les acteurs qui viendront ajouter de la crédibilité à l’édifice tant ils surjouent et semblent distants vis-à-vis de leur propre personnage (à l’exception de l’attachant Tom Hollander) : du jeu larmoyant et improbable de Rosanna Arquette à l’accent angliche de Patrick Bruel, les nuances se perdent, et tout éclate. Comme un dernier coup d’aiguille dans le ballon de baudruche qu’est Holy Lands.
Suis-je ce critique endormi devant une pièce foireuse ? Peut-être. Mais comment ne pas se détacher de l’écran devant si peu de romanesque, et tant de lieux communs. Le jeu de punchlines a beau être charmant, la blague demeure tout de même éphémère. Hiya Hiya Ho, dans la ferme de l’ennui, Holy Lands se plante en fragments d’inepties ; davantage des maladresses pour des idées mal exploitées. Amanda Sthers fait le choix de la lumière, tant sur le plan formel que thématique, sans approcher suffisamment le mal-être de ses personnages. L'émotion peine ainsi à circuler dans cette œuvre en manque de cinéma, faites de grosses ficelles et de raccourcis. Rien ne reste, pas même la réflexion. Comme le refrain usé d’une vieille comptine. Un chant du cygne pour Sonny « Santino » Corleone ? Ne l'espérons pas : un acteur capable de passer du roller-derby au romancier à la cheville malmenée a mieux à offrir qu’un mièvre élevage de cochons.
Lard de vivre
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