#Basé sur un exercice scolaire consistant à se limiter à une scène pour critiquer.#
Le générique s’achève et nous dévoile une salle remplis de spectateurs au ras-bord. Qu’il soit hypnotisé ou simplement endormis, ils n’ont plus conscience de ce qui défile sous leurs yeux volontairement laissés dans la pénombre. Seul un liseré de lumière blanche provenant de la cabine de projection éclaire le dos de l’audience amorphe. Leurs regards ont totalement disparus de l’image, les chiens sont déjà là. En bons cerbères, ils sont prêts à accompagner celui qui ne sait plus regarder. Dans une chambre mystérieusement située entre le contrechamp de l’écran et les locaux du cinéma, Leos Carax se réveille d’un sommeil de treize ans - exception faite du court métrage Merde réalisé pour le film collectif Tokyo! - pour nous présenter son nouveau chef-d’oeuvre.
Pour appuyer l’inertie des spectateurs, Holy Motors nous rappelle, grâce aux images de Muybridge, que le cinéma est d’abord une affaire de mouvement (motor étant le latin de mouvoir avant d’être la traduction anglaise de moteur comme pourrait le laisser penser le titre). C’est en effet avec le mouvement des corps, essence de toute image animée que Carax amorce sa résurrection. C’est ce même mouvement, celui de la limousine transportant monsieur Oscar d’un personnage à un autre, qui sera le fil conducteur du film. En débutant là où débute le Cinéma, Holy Motors se positionne comme étant un des plus beaux hommages qu’on puisse faire au 7ème art. Car c’est bien ce qu’est le film : une ode au Cinéma ; à tout ce qu’il peut offrir mais aussi tout ce qu’il peut prendre ; à sa gloire passée et à son énigmatique futur.
Là où le paradoxe se crée, c’est que le film pose la question de savoir si ce mouvement possède toujours un but. Est-ce une simple errance machinique, un produit industriel où la présence humaine disparait totalement ? Vertov avait-il raison ? Ou le Cinéma est-il toujours plus que cela ? L’émotion ne provenant plus du spectateur mais uniquement du jeu d’acteur (Denis Lavant n’interprétant finalement que différentes émotions par ses nombreux personnages), y a-t-il toujours un intérêt à continuer ? Ici, tout ce qui fait le charme et la magie du cinéma nous est révélé de la manière la plus brute qui soit : c’est par un trucage grossier que Leos Carax franchit le mur qui le sépare du cinéma et c’est plus tard par le désenchantement le plus total que l’on observe monsieur Oscar passer d’un personnage à l’autre uniquement « pour la beauté du geste. » C’est par d'innombrables objets, maquillages et autres perruques que sont réduis les personnages. Une manière détourner pour Carax de nous souligner son aversion pour le numérique responsable de la disparition du Cinéma, comme l’enfant nu disparait vers l’écran pour s’y retrouver de l’autre côté sous les traits d’une jeune fille.
C’est en cela que Holy Motors, de sa première seconde jusqu’à la dernière, s’applique a être le Cinéma plutôt que d’être du cinéma. Il pose un regard approfondi sur lui-même, disséqué en onze pastiches et nous ramène à sa forme la plus initiale : la projection sur un écran d’une matière en mouvement.