Avant la sortie d’Annette, j’ai eu comme une envie soudaine d’écrire sur Holy Motors de Leos Carax, qui s'avère pour moi comme un des quatre films fondamentaux de la dernière décennie (avec Twin Peaks : The Return, P’tit Quinquin et Tree of life). C'est difficile de poser des mots sur Holy Motors, tant ce voyage si singulier à travers Paris cristalliserait presque en lui-même tout le cinéma. C'est d'ailleurs encore étonnent pour moi de dire ca, tant cet objet virtuose m'avait profondément déçu lors de mon tout premier visionnage il y'a 4 ans de ça, où j’étais surement encore trop jeune (dans tous les sens du termes). Mais une chose est sûr : ce saint-moteur m'obsède ! Leos Carax a su construire des images qui me hanteront surement pour toujours. Plus jamais je ne pourrai arpenter un cimetière sans avoir la crainte de croiser un Mr Merde sortir des égouts ; plus jamais je ne pourrai m'enlever l'apparition chantante de Kylie Minogue au cœur d'une Samaritaine à l'abandon ; plus jamais l'espace même d'une église me restera impénétrable, tant ces accordéonistes fous en ont scruté les quatre coins avec ferveur.


Holy Motors synthétiserait peut-être aussi l'ensemble du cinéma merveilleux et unique de Leos Carax. Au-delà des nombreuses références, en passant de Mauvais Sang jusqu'aux Amants du Pont-Neuf, Holy Motors vient surtout célébrer une chose : l'acteur, comme moteur détraqué, fou et insaisissable ! Mais il y'a néanmoins deux moteurs fondamentaux dans le film (et dans le cinéma de Carax) : la caméra, et l'acteur. La première est souvent libre, enivrée, créatrice de révélation et de beauté. Une beauté qui vient se poser avec délicatesse et fantaisie sur les gestes gracieux et certains de l'acteur, deuxième machine ! Denis Lavant, tel un synonyme parfait, s'élance sans crainte, se rigidifie pour une vieille et pauvre femme, et se libère pour un étrange ballet numérique. Il fracasse et terrifie en père fatigué révélant une condamnation fatale à sa fille, et déambule en monstre déréglé avant de trouver l'amour divin. La caméra saisirait l'acteur insaisissable. Celui qui vogue de vie en vie, croise et recroise d’anciennes compagnies de fortune, de vie, d’amour. Celui qui tiendrait l'inexplicable science, ou le fameux geste de cinéma ! (la « beauté du geste » que retorque Denis Lavant à un Michel Piccoli en force supérieure). Mais où sont alors les caméras dans Holy Motors ? Celles, autrefois imposantes, puis devenues plus petites que nos têtes, avant de disparaitre complètement. Seraient-elles à l'image du public endormi en début de film ? Sans les caméras, il n'y a plus d'éveil, plus de magie. Comment rendre compte de l’exploit quand le champ des possibles se rétrécie, limitant le regard à un univers – cinéma – de la contrefaçon ?


Mais Holy Motors n'est pas là pour apporter des réponses ou autre, il témoigne ! Il témoigne d'une magie peut-être perdue. D'un cinéma qui n'a pas peur de s'élancer, d'invoquer des gestes, des envies, des regards. Un cinéma qui peut autant flirter avec le grotesque qu’avec le dramatique. Ces deux « mondes », si je peux puis dire, sont liés par une chose : le courage ! Faire un film aussi fou et aussi sincère qu’Holy Motors, effectivement ca relève du courage. Faire du cinéma avec audace, ca résulte incontestablement sur de la beauté. C'est tout simple, mais lorsque Denis Valant porte avec grâce Kylie Minogue au cœur même d’une Samaritaine quasi-baroque, avant que le musical commence, il y'a tout un cinéma, toute une unique magie qui revient aux yeux : les enlacements de Juliette et Jean au fond du fleuve dans L'Atalante ; John et Madelaine, isolés du monde, devant la baie de San Francisco dans Vertigo. Elle est surement là la beauté, la vraie !

RemiSavaton
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le 27 juin 2021

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Rémi Savaton

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