Une famille mène une existence paisible, champêtre même, malgré la présence d'une verrue en apparence inoffensive, jurant tout de même avec le paysage, mais néanmoins ludique ...un tronçon d'autoroute.
Les premiers plans de caméra nous montrent une famille heureuse, avec ses petites habitudes et tout le package du parfait petit bonheur ouaté et idéalisé. Tout ce petit groupe vit à son rythme, tranquillement. Puis des ouvriers arrivent. Ursula Meier déshumanise ces hommes qui ne font que dégager comme des robots obéissants des objets de la vie de tous les jours, devenus trop encombrants pour le projet d'infrastructure à concrétiser là ; le bonheur prend pour le coup, un sévère coup dans les gencives.
Une autoroute, donc, pour aider des dizaines de milliers de citoyens, mais la vie de la petite famille au bord de cette quatre-voie ? Elle en sera éternellement bouleversée.
Le pouvoir allégorique d'une route est fort. Qu'en est-il d'une autoroute ici ? C'est une fracture, une cicatrice, mais plus encore un mur, un obstacle qui vient se mettre « en travers de la route » de la famille, à l'image de cette barrière de sécurité subitement raccordée (qui n'a jamais autant bien porté son nom) qui impose concrètement le dérèglement que connaît la famille s'efforçant de continuer à vivre comme si de rien n'était... sauf que les enfants sont obligés de courir pour ne pas se faire écraser. Contradiction de taille, l'autoroute censée faire "lien" se voit alors comme un "frein" dans cette oeuvre puissante. Il est intéressant de voir la route autrement, comme l'arrivée d'un nouveau-né par exemple, souvent cause de l'exacerbation de tensions et de conflits entérinés trop vite au sein d'une famille ou d'un couple.
L'autoroute redevient opérationnelle, s'ouvre au grand public, et obtient un succès de prestige ; on s'attend alors à ce que le famille parte de ces lieux devenus maudits... mais non, la famille reste, résiste, et survit à l'envahisseur statique. Quand il n'y a pas trop de circulation le matin, après tout... si on regarde bien la route (à gauche, à droite...) les enfants peuvent encore traverser, non ? Le déni, ce mal psychologique qui fait se cacher des bébés indésirés dans les entrailles de leurs mères. Mais ici, ce n'est pas un déni de grossesse, c'est un déni de déménagement : peu importe qu'il y ait une autoroute, « c'est leur maison » dixit une Isabelle Huppert décidée à rester. « C'est chez nous ici », dit-elle comme si cet axiome mettait de côté le bon sens, ce rationalisme (propre au spectateur) qui voudrait les voir partir. Même le chat... ramené à la vie sauvage par la grande sœur Judith, revient quelques jours après, ce que constate alors un Olivier Gourmet désarçonné « t'es revenu toi ? Ben t'es con... » : même pour le chat, cette maison reste toujours son doux petit chez soi.
Déni jusqu'à faire de la maison un bunker, une sorte d'abri de fortune de dernière minute contre le bruit oppressant de cet extérieur tout en artifices et en toxicités maladives. C 'est alors que l'on rentre dans un climat suffoquant qui malmènera tous les personnages jusqu'aux portes de la folie, avant un sursaut qu'on n'attendait plus. Brillant.