De l'aveu même de Spielberg, "Hook" n'est pas une franche réussite. Une gestation douloureuse via un budget inflationniste, des choix artistiques suicidaires, un cast quinze étoiles contraire à la méthode du Wonder Boy de l'époque et une réception en forme d'uppercut au menton. Les lois du Box office étant inversement proportionnelles, "le nouveau tour de magie" emporte tout de même le morceau avec un score très enviable en ce mois de Décembre 1991. Un joli cadeau sous le sapin qui a réclamé de l'investissement et du coeur et qui se transforme presque trente ans plus tard en une délicate Madeleine de Proust. Un doux souvenir qui fout les miettes du gâteau sous le tapis en oubliant que "Hook" marquait la première rencontre de Spielberg avec l'échec artistique.
FANTASME DU FAN...
Spielberg n'a pas supporté avoir quarante ans et son Cinéma non plus. Des états d'âme qui se sont répercutés sur trois films de sa filmographie de manières distinctes. L'artiste assume donc difficilement son âge, prend le parti de rester au plus proche de sa famille sans toutefois s'éloigner des plateaux. Le Cinéma, ce train électrique à qui il a tout donné va moyennement rester sur les rails avant de s'engouffrer pour un temps sur une voie de garage. Premier film à souffrir de cette perte d'énergie, "La Dernière Croisade". Si le troisième volet d'Indy se révèle être une merveille de film d'aventure doublé d'un Buddy movie exaltant, la loupe du fin connaisseur décèle le troc des superbes déserts du moyen Orient au profit de ceux plus rocailleux et moins cinégéniques de Almeria en Espagne, une photo plus plate et un Réalisateur délaissant (un peu) l'amplitude de sa mise en scène afin de se reposer sur les épaules du duo star. Impression confirmée par "Always" six mois plus tard, objet (trop) modeste presque effacé malgré les retrouvailles avec Richard Dreyfuss. Dans un contexte plus délicat sans être catastrophique, les signes avant-coureurs d'une déliquescence du style et de la pulsion créative ne peuvent que troubler l'adorateur Spielbergien dans l'attente de son prochain projet. Une attente fébrile rapidement effacée par le souhait d'adapter une suite du "Peter Pan" de J M Barrie. Une oeuvre qui peut autant raccrocher les wagons de la pièce de théâtre originelle que ceux du long métrage d'animation de Disney. De plus, si on y introduit la perte de l'innocence, thématique traitée admirablement dans "E.T." on se retrouve avec l'incarnation du film somme d'un artiste qui a tout compris des motivations de son public. D'ailleurs, lors de sa pré-production qui n'a pas fantasmé "Hook" comme le Swachbuckler ultime ? Il suffit de se remémorer la propension de Spielberg à convertir le rêve en celluloïde. Mais entre le poster extrait de l'imaginaire du fan et la copie de fin de cycle rendue par le réalisateur des "Dents de la mer", le divorce artistique ne va pas tarder à se prononcer.
...ET RÉALITÉ DE L'AUTEUR
D'une certaine façon, "Hook" referme la porte de l'imaginaire de "Amblin Entertainment". Il s'inscrit dans la fin d'une ère insouciante et de la manière d'envisager le divertissement moderne comme ce fut la cas pour "Gremlins", "Indiana Jones" ou "Retour vers le futur". Ce qui le distingue et qui le place également en porte à faux, c'est la radicalité ainsi que la dureté de Spielberg avec lui-même. Grandir, c'est laisser de côté son innocence mais pas complètement... Une dualité dans le discours qui verrait l'artiste exorciser ses démons de l'imaginaire afin d'assumer ses responsabilités une bonne fois pour toute et dès que l'occasion se représenterait de sortir à nouveau les jouets du placard. Robin Williams donne une image assez concrète de l'état schizophrénique de Spielberg au début des années 90. L'homme d'affaires intransigeant qui hésite à jeter un coup d'oeil en arrière de peur de régresser vivant ainsi dans le déni d'un bonheur passé. De ce fait, les enfants présentent un dommage collatéral puisque la négligence est au coeur du conflit. "Hook" souffre tellement de l'empreinte apposée par son auteur pris dans l'engrenage du doute et du vacillement que l'oeuvre ne décollera jamais réellement. On a accusé le film de mièvrerie, il est en fait d'une cérébralité pesante presque aussi verbeux qu'un échange chez le psy. Le film pour enfants ne laissera que très peu de place à l'imagination, bouffé par une forme d'égoïsme qui a tous les airs d'une souffrance. "Hook" n'est plus un film, "Hook" est Spielberg. Non plus l'artiste mais l'ogre pataud et triste dépossédé de sa capacité à séduire son audience et encore moins à trouver sa place chez l'adulte ou chez l'enfant. Orchestré de cette manière, chaque choix de réalisation n'aboutira qu'à une perplexité évidente: Décors en plâtre bariolés comme un rappel de la pièce de Barrie, effets de plateau figés, ribambelle de plans shootés par la seconde équipe, mattes paintings hésitants... Demeure alors l'incompréhensible pouvoir du cinéaste qui réussit tout de même à instaurer quelques moments de grâce afin de mener "Le Jolly Roger" à bon port bien aidé par la composition d'un John Williams survolté.
Plus que tout autre film dans la filmographie de l'auteur d'E.T., "Hook" constitue une rupture douloureuse presque nécessaire et la fin d'un voyage aux ambitions démesurées. Un aveu d'échec ? Non, juste la fin d'une période compliquée avant la révolution "Jurassic Park".