Humanisme sans angélisme
Le mot lui-même, autisme, n'est presque jamais prononcé dans Hors normes, non pour nier cette "différence" mais plutôt pour éviter de coller une étiquette tellement réductrice et bien pratique...
le 23 oct. 2019
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Je me souviens d’il y a dix ans. Je me souviens d’ « Intouchables »…
On y parlait de fracture sociale. On y parlait de parias, que ce soit par le handicap, les origines sociales ou l’orientation sexuelle. On y défendait un propos, une morale, des valeurs…
Un film plein d’ambition. Un film qui avait connu son succès. Un film que j’avais aimé…
Beaucoup.
Et si je ne veux pas réduire le travail d’Olivier Nakache et de Eric Tolédano au seul « Intouchables », j’aime malgré tout à me rappeler que, de temps en temps, ils ont été capables de nous fournir ce genre de cinéma là. Un cinéma qui dit des choses, qui défend certaines causes, mais qui n’en oublie par pour autant les principes-maîtres du cinéma : explorer des situations, construire des moments, exacerber des expériences sensitives. Et si j’aime me rappeler de tout ça, c’est parce que parfois – comme c’est le cas ici avec cet « Hors normes » – le cinéma du duo tombe quand même bien bas…
Alors pourtant, oui, dans les seules premières minutes, on ressent ce qui fait l’habilité de leur réalisation.
Une course-poursuite. Des codes qui rappellent le cinéma policier. Et puis finalement une situation qui se révèle tout autre. On a affaire à du personnel venant au secours d’adolescents ou d’adultes handicapés. Et même si la plupart d’entre nous avait déjà lu le pitch et savait en conséquence de quoi il retournait vraiment, ça n’en reste pas moins un procédé efficace.
Ça pose un sentiment. Une impression. Ça fixe un état d’esprit.
Nakache et Tolédano : maîtres de l’émotion. Les gars savent gérer. Je ne leur retire par ça.
Mais demeure la question du reste.
Une question que je pourrais d’ailleurs reformuler de la manière suivante : de cette émotion, qu’en font-ils au fond ?
Parce que bon, aller tirer la larmichette en montrant des gens en galère, ça va le temps d’un spot de pub qui nous invite à passer à la caisse, mais sur grand écran, moi j’attends autre chose. J’attends du sens, des sensations, un propos, une démarche.
Et si les amis Eric et Oli ne nous font pas l’affront de laisser la gamelle vide comme le feraient de piètres frères Dardenne, ce qu’ils y mettent dedans me pose quand même problème.
Cette marmelade a tout de même quelque-chose d’étrange.
D’un côté on a une sorte de carte postale nous vendant une France qui doit certainement exister quelque part mais que moi je n’ai personnellement jamais vue : une France où voiles, kippas et survêts des Citizens se côtoient dans la plus franche des camaraderies. Tout le monde est heureux, posé, en paix. Pas de tension, pas de réflexion ni même de vanne. Que des sourires. Même Klapisch n’oserait pas nous en faire des comme ça.
De l’autre côté une ode à ces gens généreux, le cœur sur la main, qui donnent tout. Des saints parmi les saints. Des « justes » issus de toutes les communautés, guidés par leur cœur, guidés par leur foi (sic) qui viennent au secours d’une société qu’un Etat bureaucratique et rigide ne parvient plus à aider. Tout un dispositif narratif au service d’une démonstration qui appelle à une évidence : l’Etat est de trop, laissons la place aux communautés. Laissons la place à la foi.
Oui oui… Vous pouvez me relire. J’ai bien dit ce que j’ai dit et je n’invente rien.
Ce n’est pas moi qui extrapole, c’est le film lui-même qui l’affirme par sa démonstration au marteau-pilon.
Après avoir passé une heure à nous opposer les insuffisances des services publics d’un côté et les vertus sociales et médicales des associations de généreux volontaires, le film plante le clou en trois temps. D’abord par le discours d’un chef de service hospitalier qui, quand on l’interroge sur le fait qu’elle confie des malades à des associations non assermentées, décide de répondre : « Ces gens ont écouté leur cœur. Ils ont écouté leur foi. Et ils ont eu raison. » Puis, dans un deuxième temps, par l’échange musclé entre le personnage de Joseph et les inspecteurs de l’IGAS. Le premier s’énerve de voir qu’on veut lui retirer ses protégés et dit : « Vous voulez me les prendre ? Alors prenez les tous ! » Les seconds répondent par un silence gêné, avouant leur impuissance à traiter des cas aussi lourds. Enfin, dans un troisième temps, le clou est définitivement enfoncé par un carton, citant un texte officiel reconnaissant la nécessité de service public d’avoir recours à ce genre d’associations. CQFD.
Morale de tout ça : reconnaître ces associations religieuses qui délivrent des services charitables plutôt que des accompagnements médicaux, c’est juste du bon sens.
Ça va dans le sens de l’Histoire…
Enfin… Ça va surtout dans le sens de la doctrine défendue par le duo…
Parce que oui, je pense que la première des choses à faire quand on se décide à aborder ce « Hors normes », c’est de savoir reconnaître sa véritable nature. Ce long-métrage n’est pas une fiction. Il n’est pas une simple exploration de l’humain. Il n’est pas un espace ouvert au spectateur. Il est juste un film militant. Et comme tout film militant, il a son dogme, ses biais et surtout il a tout son dispositif formel qui vise à accomplir sa mission véritable : l’endoctrinement.
Le but n’est pas seulement qu’on s’apitoie sur le sort de ces pauvres autistes. Non.
Le but c’est aussi et surtout qu’on s’indigne d’une législation qui ose encore aujourd’hui mettre des bâtons dans les roues de ces gentilles associations religieuses.
On aurait pu conclure sur les manques de moyens de l’Etat, sur les coupes honteuses menées par les derniers gouvernements en place pour asphyxier l’hôpital public. Mais non.
Là on nous pose le désengagement de l’Etat comme une fatalité. On nous présente le recours à ces associations comme allant de soi.
Alors que non. Cela ne va pas de soi.
Faire passer comme allant de soi quelque-chose qui ne va pas de soi : ça, ça porte un nom.
Quand on joue les maîtres de l’émotion pour sensibiliser à un questionnement ou pour remettre en cause des représentations (comme dans « Intouchables » par exemple) alors là, d’accord, on peut revendiquer la démarche d’artistes. D’artistes engagés certes ; d’artistes qui imprègnent leur œuvre de leur sensibilité et de leurs valeurs, mais des artistes malgré tout.
Par contre quand on se décide de faire un film biaisé, à la conclusion univoque, qui vise à promouvoir les services d’associations communautaires bien existantes autour desquelles ne s’expriment pas une totale unanimité, là on se retrouve dans une démarche tout autre. Au mieux c’est de la publicité déguisée. Au pire, c’est carrément de la propagande.
Or moi, les films de propagande, je trouve ça un peu minable.
Au-delà de la malhonnêteté de l’entreprise, c’est vraiment la pauvreté du résultat qui me dérange. On ne m’appelle à aucun questionnement. On ne m’offre aucun moment de suspension. Je suis juste dans de la démonstration téléguidée. Dans l’hagiographie permanente.
Ce film interdit la pensée. Il l’anesthésie par de l’émotion permanente. Il ne sait qu’afficher qu’une seule image : celle d’une action juste dont il ne faut pas avoir peur.
Le communautarisme ? Pas de crainte à avoir ma petite dame ! Admirez l’image qu’on vous offre : celle d’un communautarisme rassurant ; celle d’un communautarisme heureux et ouvert !
La religion ? Roooh ! Maaaaais noooon ! Tous ces gens portent leurs kippas et leurs voiles mais regardez comme ils ne parlent JAMAIS de religion ! Ils savent faire la part des choses ! Pas de souci à avoir là-dessus !
L’incompétence ? Bon… Allez c’est vrai qu’ils se plantent parfois. Mais au final ils obtiennent des résultats bien meilleurs que tous ces vilains hôpitaux qui ne savent que les bourrer de médicaments !
Alors bon, pourquoi ouvrir un espace de débat ? Pourquoi laisser un espace libre de réflexion au spectateur ? C’est tellement plus choupi une happy end avec une conclusion toute simple à retenir…
Alors bon… Puisque le duo Nakache / Tolédano a décidé de réduire ce film a de la simple propagande, jugeons-le comme il se doit. Avec notre raison entrainée plutôt qu’avec notre émotion manipulable.
Or que me dit ma raison ?
Elle me dit que je ne cautionne ni la méthode, ni le message, ni même la pauvreté sensorielle et réflexive que cet espace de cinéma m’a proposé.
Pire, plus que ne pas la cautionner, au fond ma raison la désapprouve.
Hautement.
Bref, voilà malheureusement un nouveau film piteux à accrocher au triste tableau de chasse du duo ; tableau qui comprenait le déjà très doctrinal « Samba ».
Et dire qu’il y a dix ans, c’était le même duo qui nous proposait pourtant « Intouchables ».
Dix ans c’est peu…
Et pourtant, quand on regarde ce qui sépare ce « Hors normes » d’ « Intouchables », c’est bien tout un âge civilisationnel qui semble s’être écoulé…
Etrange sensation…
Créée
le 18 nov. 2019
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