Je ne sais pas si c'est la photographie, le sens du cadre de Bruno Dumont ou la rudesse de la Côte d'Opale (en fait, ce sont les trois combinés !), mais, formellement, Hors Satan est le film le plus beau du réalisateur. J'ai eu l'impression d'une succession de toiles de maître. Bref, c'est un régal pour les yeux. Voilà, c'est dit.
Mais ce n'est pas le tout de parler de la forme (même si c'est essentiel au cinéma bien sûr !), il faut aussi parler du fond.
Bon, c'est le portrait d'un SDF ermite qui est capable de faire des miracles. Genre ressusciter des morts, guérir une jeune fille cataleptique ou éteindre des incendies. Oui, il est difficile de ne pas faire le parallèle avec le Christ. Dans le même temps, il est capable aussi de commettre des meurtres que ce soit d'êtres humains qui ne sont pas inoffensifs ou des animaux qui le sont. Il y a du démon en lui, de l'humain en gros.
Une figure complexe à qui le regretté David Dewaele (déjà croisé chez le cinéaste à travers des rôles secondaires dans Flandres et Hadewijch !) prête sa gueule burinée (qui n'aurait pas détonné dans un western-spaghetti !), que la caméra aime bien (il avait du charisme, le bougre !), ainsi qu'un calme impressionnant, gardé en toute circonstance, même lors des accès de violence de son personnage.
Il y a énormément d'Ordet de Dreyer. Je ne vais pas vous faire le comparatif des similitudes des points de vue de l'image et de l'intrigue ; il y en a tant à dire. Il y a beaucoup de Bresson dans les scènes dans lesquelles le geste et la parole sont réduits au minimum (voire absent pour la deuxième !), à l'instar du don du pain quotidien. Et évidemment Georges Bernanos, dont l'œuvre teintée d'un catholicisme sombre et dont le surnaturel en embuscade peut apparaître dans un environnement des plus véristes. Il y a de l'abbé Donissan de Sous le soleil de Satan dans le caractère principal d'Hors Satan, mais un Donissan qui n'est pas détruit par ce qu'il veut être, puisqu'il est, puisqu'il assume sa part obscure. D'où une confrontation plus frontale avec les instincts les plus primaires.
Un opus du Monsieur ayant donné L'Humanité qui fascine par son peu de loquacité, son style contemplatif affirmé, son aridité apparente, ne faisant que couver des sous-entendus émotionnels forts, son épurement, ainsi que par sa richesse profonde et érudite en ce qui concerne ses thématiques et ses références.