Je dois le confesser, un peu sous la torture : j'aime beaucoup Hostel : chapitre II. Le revoir aujourd'hui confirme mon sentiment d'alors, que je pensais au contraire voir partir en fumée. Le premier ne m'avait pourtant pas passionné, à croire qu'il s'agissait d'un brouillon sorti en connaissance de cause pour voir ce qui fonctionnait ou non. Cette suite corrige le tir sans renier son pitch d'origine, ce qui explique peut-être sa réception négative et son échec en salle.
Jeté en pâture à une vague de torture porn d'ores et déjà incontrôlable, l'hyper rentable saga Saw en étant à son 4ème épisode en deux ans, le second Hostel marqua de son côté l'arrêt de mort d'une saga dont le troisième opus sortira en DTV. Un mal pour un bien, cette suite abattant à peu près toutes les cartes possibles en 90mn bien tapées. Car si le premier se terminait sur un point d'interrogation (que peut-il advenir du seul survivant ?), sa suite s'ouvre par un point de suspension que le jeune Eli Roth va combler en repensant le premier Hostel. Même décor. Même pitch. Même personnages de d'jeuns ricains. Même voyage en train. Même piège. Même sort funeste à la clé. Même film ? Loin s'en faut.
On aura tôt fait de caricaturer la démarche de Roth, ancien assistant de David Lynch et aujourd'hui protégé de Tarantino, qui nous sert en apparence une photocopie de Hostel en troquant ses héros queutards contre des héroïnes moins portées sur la fesse de l'Est. En cela, Roth a une démarche assez suicidaire dans le sens où il met un seul argument en avant pour justifier un second tour de piste. C'est qu'au lieu d'opérer une refonte, il a en fait repris le même film pour y écrire entre les lignes, au point de tordre le récit initial histoire d'offrir, en fait, bien plus qu'un "nouveau" film : un nouveau point de vue sur ce récit où le spectateur paye pour venir voir des horreurs, moralement indemne grâce à la place de victime qu'il occupe par empathie.
A moins bien sûr qu'on ne prenne la chose au second degré, mais ceci est une autre problématique. Dans les faits, Hostel : chapitre II n'est une suite que pendant cinq minutes, le temps d'apporter ce fameux point de suspension évoqué plus haut. Le reste est une variation, à la fois très familière et imprévisible, sur un canevas éprouvé. La surprise vient du fait que Roth se glisse cette fois en coulisses, filmant les enchères virtuelles faites entre deux parties de golf sur la tête de gamines qui se vendent à prix d'or, puis suivant les deux comparses durant l'attente entre l'achat et la réception du produit. Le mot est fort mais sans charge excessive, Hostel : chapitre II ressemblant à s'y méprendre à une usine où l'acquisition, la vente et la consommation des bêtes se font avant l'abattage.
Ne comptez pas sur la sympathie pour vous faire oublier ce pour quoi vous avez payé. Les héroïnes ? Vous avez le choix entre la niaise un peu coincée, le canon en quête de mâle et la mystérieuse brune richissime. Les bourreaux ? Un duo d'enfoirés dont l'un semble beaucoup moins enchanté par le projet que son collègue, mais où chacun se comporte comme le dernier des ados stupides, pavanant à n'en plus finir ou boudant par timidité. Les bad guys ? Des saloperies dures en affaires qui n'hésitent pas braquer du mioche si l'un d'eux à le malheur de maltraiter la marchandise avant qu'elle ne tombe dans leurs filets. Des gosses qui jurent, crachent au visage de touristes qui leur filent un bonbon au lieu d'un dollar, et en tabassent une autre pour la piller...
Bien entendu, jeter Hostel : chapitre II sous le seul argument de la caricature xénophobe revient à faire l'impasse sur l'intégralité de sa structure, dont chaque rouage et dialogue à double sens courbe l'échine sous le pouvoir de l'argent, et où les ricains partagent les rôles d'acheteur et d'acheté. Car si le premier était contraint de meubler sa première heure de teen comedy facile, l'alternance bourreaux/victimes donne au Chapitre II des allures de cauchemar constant, cette séquelle tournant le dos à l'aspect post-Saw du premier afin de s'envelopper d'une ambiance extraordinaire. Roth évite ainsi le piège de la surenchère, le film se reposant sur son atmosphère.
Exhibant de bout en bout son goût pour l'horreur à l'italienne tout en magnifiant ses méfaits, Hostel II est si conscient des effets à (re)produire sur le public qu'il s'autorise des séquences dont la splendeur malsaine atomise la rouille Bricorama de son aîné ; voir cette cliente désireuse d'assouvir des fantasmes volés à comtesse Bathory, l'occasion d'une mise à mort atroce et fascinante, tout en supplications vaines, sexualisation morbide et esthétisme décadent. Il faut dire que ce chapitre là est porté par une photo remarquable, faite de noirs anormalement profonds et de contrastes agressifs. Avec quelques décors en poche et un budget tenu, Eli Roth élève ce qui n'aurait pu être qu'un bis friqué vers des hauteurs plastiques inattendues, façon Le Dernier train de la nuit.
Dans ce huis clos ferroviaire des 70's, le cinéaste Aldo Lado prenait lui aussi fait et cause pour des jeunes-filles traitées comme moins que rien par quelques sadiques. Réduite à quelques scènes dans Hostel II, cette portion influe sur tout le métrage, impression tenace que quelque chose ne tourne pas rond sans que l'on puisse échapper au décor, voire au cadre lui-même. Crescendo malsain où le gore est l'instrument d'un discours acide, exploration de la fange dorée de l'humain dont la mise en scène et l'écriture analysent en même temps qu'ils défient leurs propres enjeux moraux, et surtout, pur film d'horreur incroyablement bien fichu, Hostel : chapitre II ritualise ce qu'il filme (tatouages, tenues, slogans...) pour mieux en souligner la terrifiante précision.
Suite exemplaire jusque dans un épilogue dont l'absurdité comique boucle la boucle, ce film-là est aussi un ride horrifique suintant le malaise à force de jongler entre tortionnaires et victimes ; dévorée par l'obscurité, l'image de la jeune-femme face un gigantesque miroir cernée d'ampoules reste un des plans les plus marquants du long-métrage, poupée de chair que l'on apprête avant le show. A l'arsenal horrifique qui est à sa disposition, Hostel : chapitre II répond par un nombre finalement faible de plans gore. Ne pas se tromper néanmoins : il s'agit bien là d'un torture porn, à ceci près qu'il baigne dans une ambiance anxiogène qu'aucun boyau en gros plan ne saurait distiller.