À peine plus d'un mois après l'excellent Dernier Duel, Ridley Scott revient avec House of Gucci. Époque, genre, sujet ; tout semble les dissocier. Pas tant que ça, en fin de compte. L'exploration au royaume d'un des plus grands noms de la mode, le démiurge l'envisage comme une visite des coulisses de la scène, là où tous les "trucs" sont livrés en l'espèce. Ici, cela signifie démystifier la superbe derrière le célèbre patronyme. Et dévêtir les participants de cette mascarade pour les regarder dans leur vérité nue. En soi, poursuivre le travail de désacralisation également à l'œuvre dans son brûlot moyenâgeux sorti en octobre dernier.


Des effluves qui sentent bon l'aigreur et les ténèbres, on les a souvent humés chez le réalisateur notamment cette dernière décennie. Ils s'accompagnent cette fois d'une bonne louche de sarcasmes. Voire même de bouffonnerie. En réalité, House of Gucci c'est une tragédie racontée dans le style Commedia dell'arte. Dès le début, les personnages recouvrent leurs masques et jouent un rôle qu'ils se sont eux-mêmes donnés, à tel point qu'aucun ne semble à sa juste place. Patrizia se projette comme une starlette tandis que Maurizio Gucci s'efface au point d'être pris pour un simple barman. Le patriarche s'enferme dans une caricature d'ermite imbuvable. Quant au cousin Paolo, il s'enfonce dans l'exubérance de l'artiste incompris et du fils à papa capricieux. À la rigueur, le seul qui semble raccord pourrait être Aldo, entrepreneur et fier de l'être. Sinon, la photo de famille est pour le moins insolite. Ridley Scott choisit donc de le surligner en optant pour une direction artistique exempte de clinquant, une photographie sinistre, pour mettre en évidence le décalage avec cette galerie de gens pittoresques. La première partie est à ce titre assez réussie. On s'amuse de la grossièreté de la sangsue inculte, de la fadeur de son mari débonnaire ou du comportement exacerbé de Paolo. Scott en avait bien assez pour refaire le portrait de ce clan. Le film veut aller plus loin, un entrain qui va lui coûter cher.


Au niveau de la dramaturgie, ça grouille de grands thèmes et de possibilités. L'implosion d'une dynastie, tragédie. Le parcours d'une profiteuse superficielle, satire. Chute ininterrompue d'un héritier excentrique, comédie burlesque. Trois films en un, sauf qu'il faut les faire tenir ensemble. Ce qui réclame un soin minutieux sur le montage pour jouer sur tous les tableaux. Chose rarissime chez Sire Ridley, son œuvre pêche par sa longueur. Il y a trop et pas assez d'énergie, House of Gucci déborde de tous les côtés, comme s'il ne pouvait choisir quelle partie favoriser et laquelle suggérer. Bascules abruptes, intrigue éparpillée, passages étirés sans raison ; on en arrive à un long-métrage qui compte 30 minutes en trop. Ce laps de temps en plus d'être injustifié épuise la veine caustique que Scott vise. Le message était limpide, le fait de le rabâcher joue contre lui. La troupe qui se charge de le convoyer en pâtit bien malgré elle. Al Pacino et Adam Driver font montre d'une grande maîtrise jusqu'au bout. En face, Lady Gaga et Jared Leto tentent le cabotinage incontrôlé. Ce qui fonctionne à partir du moment où l'on comprend qu'ils jouent des personnages qui jouent d'autres personnages et se plantent. C'est toujours sur la ligne, grotesque, gênant et pathétique. L'abattage force le respect même si de toute évidence les interprètes ne participent pas au même film.


On termine en comptant les points, en voyant les intentions louables se court-circuiter tout en s'amusant des percées car il y en a. À l'image de l'ensemble, elles arrivent de manière chaotique et apportent du relief à un vrai monstre de Frankenstein. Ridley Scott se refuse à sectionner le gras, ce qui surprend pour un cinéaste dont la carrière est jalonnée de travaux dont les versions longues avaient plutôt tendance à amplifier la puissance (exception faite de Gladiator). House of Gucci présente le cas inverse. Ce qui amène à se demander si un montage plus recentré ne permettrait pas d'en embellir l'audace.

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le 26 nov. 2021

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