La magie de Noël est un puissant euphorisant. On retrouve une âme d'enfant, oubliée dans les méandres d'une réalité qui la pousse vers la sortie. On s'abandonne à un trop plein de bons sentiments, d'habitude refoulé. On accepte d'évanouir notre réticence à se laisser emporter par ce cinéma enfantin. Le père Noël existe bel et bien. Mais il n'est pas affublé de son sempiternel habit rouge et blanc, et ne se balade pas de cheminées en cheminées. Il fait du cinéma. Son cinéma. Et par la même, distribue de l'émotion pure, le plus beau des cadeaux.

Hugo Cabret est un jeune orphelin recueilli par son oncle alcoolique, sorte de maitre du temps, chargé de remonter les horloges de la Gare Montparnasse. Errant dans l'arrière décor, le garçon se concentre à achever ce qu'il avait commencé avec son père avant la mort de ce dernier : réparer un vieil automate, récupéré dans la remise d'un musée, oublié de son propriétaire. Persuadé que son père lui a légué un message, il va découvrir bien plus et se lancer dans une aventure qui changera le cours de sa vie. Tout comme celle d'un vieillard hanté par son passé et aigri par le temps.

« Tu as essayé d'oublier le passé pendant si longtemps, peut-être est-il temps de s'en rappeler... ». Une phrase qui fait écho dans notre esprit. Comme si cette idée de vouloir renouer avec le passé était lancée par Martin Scorsese lui-même. Une idée à laquelle il s'accroche fermement, signant ici son meilleur film depuis les années 2000. A l'image de cet automate, il y avait quelque chose de casser dans le cinéma de Scorsese. Tombé dans les rouages de mécanismes rôdés, il se satisfaisait de ces films mitigés, bons pour la plupart, mais sans âme. Ici, il retrouve le goût de faire du cinéma. Restituant ses lettres de noblesse au génie de Georges Méliès, il redonne également un sens à son art.

A travers ce conte pour enfant, il compose une lettre d'amour au cinéma, en réécrit l'histoire, et rend hommage à l'esprit visionnaire d'un homme que trop peu connaissent. Une histoire remodelée, quelque peu romancée, pour s'intégrer parfaitement à celle de ce jeune orphelin au regard azur, si attachant sous les traits d'Asa Butterfield, promis à un bel avenir. D'ailleurs Scorsese manie à merveille cette mince frontière entre réalité et fiction. « C'est ici que sont faits les rêves » explique le vieux Méliès. Si les rêves nous viennent de ce qu'il nous est donné de voir, les films aussi. Comme Méliès à son époque, Scorsese réinvente ce qu'il voit. De l'accident de train catastrophique qui a dévasté la gare Montparnasse en 1985 (une scène qui regorge de multiples clins d'œil) à la vision fantasmée de la ville de lumière, qu'il construit et déconstruit à sa guise (cette gare imaginaire où se mèle toutes celles de la capitale), Scorsese façonne sa propre réalité.

Détournant ce qu'il perçoit, Scorsese se dresse en héritier du mage de Montreuil, véritable magicien du cinéma. Méliès l'avait compris lorsque la manivelle de sa caméra s'est bloquée, transformant un omnibus en corbillard au montage : magie et cinéma ne font qu'un. Le passage à la 3D pour rendre hommage à l'inventeur des effets visuels prend alors tout son sens. Une 3D soignée. Peut-être la meilleure depuis Avatar. Le réalisateur revient aux origines du cinéma, tout en utilisant les évolutions inhérentes à celui-ci. 3D, effets, anachronismes, décors inventés, modifications des perspectives... Hugo Cabret s'affranchi des barrières de la physique et du temps.

Empreint d'un profond respect, Scorsese met beaucoup de cœur à l'ouvrage. Il soigne sa mise en scène, mais aussi ses personnages. En chacun d'eux se retrouve une part du réalisateur (qui va même jusqu'à apparaître lui-même le temps d'un court caméo). Dans cet orphelin à la recherche de réponses. Dans cette jeune fille pleine d'énergie qui rêve d'aventure, rappelant au passage que le cinéma est une aventure. A travers le regard ravivé du cinéaste oublié qui recouvre la mémoire, et le respect de ses pairs. Au travers de cet automate, qui avait simplement besoin de cœur pour être réparé...

Des personnages tout droit sorti d'un conte pour enfant. Un conte dont seul un amoureux du cinéma comme Scorsese pouvait en extraire l'importance pour cet art. Car oui, Hugo Cabret est une œuvre nécessaire, un devoir d'histoire. Voir s'animer les décors de Méliès, revoir le studio de cette légende du cinéma, redécouvrir ses films, dont Le voyage dans la Lune, recolorisé, et pour la première fois en 3D relief... Scorsese ne se cantonne pas à faire un film de Noël, il rappelle au cinéma d'où il vient, et le souvenir d'un homme qui lui a tant donné, à travers une fresque profondément humaine.

En quelques secondes, Scorsese passe l'éponge sur ce cinéma sans saveur qu'il nous servait depuis trop longtemps. Une introduction époustouflante qui plonge notre âme d'enfant dans cette histoire teintée d'un amour profond pour le 7ème art et de ses ainés. Une aventure merveilleuse qui s'empare de notre cœur, allant jusqu'à noyer nos yeux de larmes. Sous ces faux airs d'énième film de Noël, Hugo Cabret se révèle être bien plus : Scorsese rend hommage à Méliès en signant un des meilleurs films de 2011.
Cinexclu
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 24 janv. 2012

Critique lue 284 fois

1 j'aime

Cinexclu

Écrit par

Critique lue 284 fois

1

D'autres avis sur Hugo Cabret

Hugo Cabret
Gothic
6

Billes et cons postés pour la Lune.

[LEGERS SPOILERS] Avec "Hugo Cabret", ce cher Martin débarque sans crier gare dans le monde des contes accessibles à la fois aux enfants et aux adultes. Ce projet, il l'a mis sur les rails avec...

le 22 juil. 2013

59 j'aime

20

Hugo Cabret
Toki
5

Critique de Hugo Cabret par Toki

Quand je suis allé voir Hugo Cabret, je m'attendais à voir le dernier Scorcese, une grande épopée, quelque chose de fort, de prenant. Et en fait non. Pour apprécier pleinement le film, il faut y...

Par

le 16 déc. 2011

59 j'aime

12

Hugo Cabret
cloneweb
9

Critique de Hugo Cabret par cloneweb

George Meliès, s'il n'est pas le créateur du cinéma, est sans doute la personne au monde qui a été la plus influente en la matière et depuis sa création. Parisien, né en 1861 et d'abord...

le 8 déc. 2011

49 j'aime

6

Du même critique

The Artist
Cinexclu
9

Rédigée par Romain

Une bien longue attente. Il aura fallu s'armer de patience pour découvrir cet inclassable qui a fait beaucoup de bruit sur la Croisette. Un comble pour un film muet. Un genre oublié peut-il renaitre...

le 27 nov. 2011

3 j'aime

Le Stratège
Cinexclu
8

Rédigée par Romain

2011 est une année pleine de surprise. Drive, The Artist, Tintin ou encore Intouchables, qui bat des records en ce moment en salle (espérons que le film dépasse l'infamie qui trône en tête du...

le 27 nov. 2011

2 j'aime

Bullhead
Cinexclu
7

Rédigée par Perrin

Révélation d'un cinéma belge en plein renouveau, le premier film de Michaël R. Roskam a été sélectionné pour le festival de Berlin. Tout sauf un hasard. Bullhead. Tête de taureau pour les intimes. Le...

le 22 févr. 2012

1 j'aime