Un film mineur atypique dans la carrière de Martin Scorsese. Envoûtant...

Bien occupé en 2010 (la mise en scène du thriller psychologique « Shutter island » et le lancement de la série « Boardwalk empire »), Martin Scorsese livrait en décembre 2011 son premier film pour enfants adapté de l’œuvre originale « L’invention de Hugo Cabret » de l’écrivain Brian Selznick.


Synopsis : dans le Paris des années 1930, Hugo, jeune orphelin de douze ans, survit dans une gare en tant qu’horloger. Il s’improvise réparateur d’automate pour garder en mémoire le souvenir de son père. Sa rencontre avec Isabelle va chambouler sa vie.


Avec une utilisation judicieuse de la 3D, Martin Scorsese soigne son imaginaire. Dès lors que l’on s’immerge dans le Paris des années 1930, et ce dès l’introduction, on sent la patte Spielberg se pointer. Once d’ironie, de naïveté, découverte de Paris avec ses célèbres bâtiments (Arc de Triomphe, Tour Eiffel, Gare Montparnasse) qui défilent sous nos yeux, idée d’animation des avenues et des personnages, tout ça m’a fait penser au début d’un Spielberg. Pourquoi ? Parce que l’imaginaire est là, bien présent et que le divertissement a l’air de qualité. Cette magie du cinéma, par la prise de recul instantané sur la manière de filmer de Marty et sa signature quant à la qualité immersive dans l’histoire nous plonge d’entrée dans l’univers parisien.
La première réplique d’Isabelle envers Hugo (« espèce de dépravé ») est une incursion scorsesienne, une invitation à toucher du doigt l’univers du cinéaste.


Univers très bien retranscrit grâce à la magnificence des décors, des costumes, de la belle photographie et d’une musique appropriée.
Le Paris des 30’s et ses costumes sont d’enfer (et non pas Rochereau !) et sont bigrement travaillés jusque dans les moindres détails. Bâtiments, gare, horloges, rues, luminaires, habits, gants… en allant même jusqu’à la moustache du chef de gare, tout est bonnement parfait. Dante Ferreti et Sandy Powell, proches collaborateurs scorsesiens (« Gangs of New York », « Shutter island »), peuvent aller s’habiller avec fierté !
D’autant que la lumière qui s’en dégage est foudroyante, c’est-à-dire qu’elle se fait l’apanage d’Hugo Cabret » et de mettre ainsi en avant l’histoire que nous conte le metteur en scène palmé de « Taxi driver ». Le rendu visuel se fait ainsi belliqueux (tout comme l’est le chef de gare), autoritaire (dans la rue parisienne avec les lions en guise de statue où habite les Méliès), joyeux, immersif et donc forcément scorsesien par les thèmes abordés dans l’univers du réalisateur. De New York on passe à Paris, mais la photographie reste la même : palpitante et névrosée. Et Robert Richardson (« Né un 4 juillet », « L’homme qui murmurait… », « Kill Bill ») de nous envoûter. Bravissimo !
La musique proposée par le compositeur Howard Shore (« Les infiltrés » et « Le loup de Wall Street » pour le réalisateur, mais aussi Cronenberg, Gray, Jackson et Jonathan Demme ont fait appel à ses services), tout en subtilité, englobe l’ambiance générale et accompagne Hugo et Isabelle dans leurs escapades parisiennes. Beau travail Howard et merci encore.


Si l’on s’intéresse au scénario, rien de bien neuf à l’horizon. Hugo est orphelin, il va vivre une aventure hors du commun avec Isabelle : découvrir les mystères de la vie. Mais de là, Scorsese tire de sa propre histoire. Hugo, adolescent est abandonné. Laissé pour compte (ça, c’est pour Eastwood !). Un gamin parisien. De Little Italy, on s’envole pour le 15ème arrondissement. Dans les décombres de la Gare Montparnasse. La pauvreté. La misère. Sans-le sou. Avide de cinéma. Une vie de Gavroche, de misérable (ça, c’est pour Victor Hugo. Merci !). De misérable qui a une mission : régler les horloges de la gare. Pas si misérable que ça finalement. Un Gavroche nécessaire, utile à la société. Hugo est donc cet oublié qui va de l’avant et qui a un besoin d’aventure. En cela, Hugo est l’alter-ego parfait du cinéaste. On oublie De Niro et Leo pour Hugo. Bravo Scorsese. Beau pied-de-nez.
Le scénariste John Logan (« Gladiator » et « Skyfall » à son actif, notamment) trousse ainsi un personnage principal avide de vie mais dépravé par la société. Comment ne pas penser à De Niro qui erre, pour d’autres raisons, dans les rues newyorkaises ? Entre Paul Schrader et John Logan, il y a un pas, et pourtant….


Si l’on s’approprie le scénario et le rythme des aventures d’Hugo, on s’aperçoit que niveau montage, tout coule de source. Du début à la fin, l’on est gavé à la sauce scorsesienne par ses thèmes mais aussi son sens de la mise en scène. Ici, pas de chichi, pas de niac, simplement une histoire, un conte. De la poésie à la française que Jean de La Fontaine n’aurait jamais reniée. Pas d’écriture filmique façon « Les affranchis » ou « Casino » avec ses flashbacks virulents rouge sang, mais plutôt des rêves agencés dans l’histoire pour l’histoire. Et l’inénarrable Thelma Schoonmaker (« Raging bull », « La dernière tentation du Christ », « Aviator » … et dernièrement « The irishman » -ça fait mal d’écrire pour la première fois ce titre, certains me comprendront…) de nous faire sa leçon de cinéma en nous montrant des rêves qui décrivent l’histoire de Paris (avec le réel accident de 1895 à la Gare Montparnasse par ailleurs très bien retranscrit).


« Hugo Cabret », c’est aussi un hommage au cinéma.
Paris. Aaaah Paris. Oui, la capitale du cinéma. Paris et ses affiches de cinéma d’époque (on s’amusera à reconnaitre les affiches des Chaplin, Buster Keaton, Max Linder…).
L’évocation aussi du début du cinéma : « L’arrivée du train en gare de La Ciotat » avec les frères Lumière. Et les spectateurs de crier dans la salle de projection.
Hommage au cinéma également en racontant la vie, l’œuvre et la carrière du premier cinéaste-visionnaire français Georges Méliès. Sa période de gloire, sa déchéance. Tiens, nouveau thème scorsesien. Quel tact, Marty !
Qui a dit que derrière Hugo se cachait Méliès, un homme parti de rien, qui a accédé à la notoriété et passé ensuite aux oubliettes pour enfin renaître de ses cendres ? N’est-ce pas ici le point de départ de l’histoire de Scorsese dans la grande Histoire (avec un grand H) dans l’histoire du cinéma ? Ou Scorsese de faire d’Hugo l’automate de Georges Méliès ? Par Hugo le dépravé de la société, le metteur en scène de « Silence » nous narre la vie de Georges Méliès.
Ceci n’est pas un scénario à multiples tiroirs, c’est une mise en scène appuyé d’un vibrant hommage au cinéma vécu par un enfant abandonné en des yeux scorsesiens.
Une double approche pour un Scorsese certes mineur mais au meilleur de sa forme. L’élégance même du cinéma. Une finesse que jamais je n’aurais cru capable le metteur en scène de « Raging bull ». Comme quoi…


Au casting, Asa Butterfield (vu dans « Nanny McPhee et le big bang » et chez Tim Burton) est assez terne dans le rôle d’Hugo. Chloë Grace Moretz (propulsée star grâce à « Kick ass »), ici crédité Chloë Moretz, joue une Isabella sensible. Georges Méliès est un Ben Kingsley (oscarisé pour « Gandhi », il travaillera pour Donaldson, Spielberg, Polanski, Kari Skogland…) moustachu et incroyablement bourru. En chef de gare, on retrouve Sacha Baron Cohen (« Borat », « The dictator »), désopilant à souhait, tout comme son doberman.
Avec également Jude Law (si « Bienvenue à Gattaca » l’a révélé, il affectionne tous les genres : « Existenz », « Stalingrad », « My blueberry nights », « Sherlock Holmes » …), le père d’Hugo, et les regrettés Christopher Lee en bibliothécaire et Richard Griffiths (« Les chariots de feu », « Vatel », la saga « Harry Potter »).


Pour conclure, « Hugo Cabret »(2011), film mineur dans la carrière de Martin Scorsese et sans doute son meilleur long-métrage de sa filmographie, est ce petit chef d’œuvre d’aventures envoûtant et distrayant rendant un vibrant et chaleureux hommage au 7ème art.
Un pur enchantement, une merveille.
Spectateurs, enscorsisez (en-Scorsese-z) vous !


PS : multirécompensé, « Hugo Cabret » reçut onze prix en 2012 ! Cinq oscars dont celui de la meilleure photographie (pour Richardson) et celui des meilleurs décors (pour Dante Ferretti) et le Golden Globe du meilleur réalisateur pour ne citer que ceux là. Dantesque !

brunodinah
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le 22 nov. 2019

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