Huit et demi termine le tournant vers la fantaisie et l'adieu au réalisme entamé par la Dolce vita. C'est un film sur le métier de réalisateur, qui montre la difficulté du processus créatif : un film éprouvant, donc, qui raconte une histoire à travers des visions fantasmées, oniriques.
Guido (Mastroianni), un réalisateur, est victime d'une crise d'étouffement et de panique dans une voiture coincée dans les embouteillages. Il fait une cure dans une ville d'eau, où le rejoint sa maîtresse, une femme frivole et bien en chair. Il trompe sa femme, Luisa, à la beauté plus sobre et à l'amour fidèle. Il a une vision d'une infirmière d'une beauté irréelle, qui lui apporte un verre d'eau susceptible de le guérir de ses angoisses.
Car l'entourage de Guido le plonge dans une agitation incessante. Censé faire un film de science-fiction engagé en forme de parabole sur la crise des missiles de Cuba, il est houspillé par une actrice française qui veut comprendre son rôle, par des collaborateurs qui ne comprennent pas le film, par un producteur qui l'aime mais est inquiet de ses crises d'angoisse, par un train de parasites évaporés, par un critique français qui le harcèle sur le message de ses films (et qui est visiblement une caricature de François Truffaut), par sa femme jalouse. Il est habité par des visions fantasmatiques qui sont autant d'étapes de son introspection : la plage où enfant, il regardait La Saraghina, une grosse souillon terriblement fellinienne qui dansait pour les enfants ; son enfance catholique ; ses parents morts (très belle scène du père qui descend dans un trou) ; ses fantasmes de harem où il fouette toutes les femmes qu'il a connu. Et finalement, après avoir songé au suicide, il renonce à faire le film, laissant le décor de lancement de fusée spatiale à l'abandon. Alors que le critique le félicite d'avoir renoncé à un mauvais film, une farandole de tous les personnages s'organise sur le thème célèbre de Nino Rota, et Guido y prend part aussi.
J'ai mis du temps à me décider à le regarder, car j'en avais l'image d'un film exigeant, et c'est bien le cas. C'est un film aux mouvements d'appareil très étudiés, aux images très évocatrices, qui restent longtemps en mémoire. Mais c'est un film en perpétuel mouvement, qui veut retranscrire la confusion au quotidien, le chaos de la création.
C'est un film qui se prête à l'analyse, dans lequel on peut tenter bien des lectures. Dans le bonus qui était accolé au DVD, les analystes proposaient un parallèle avec l'oeuvre de Dante, sans doute pertinent, mais bien d'autres grilles d'analyse sont sans doute possibles.
C'est beau, c'est riche, alors pourquoi pas 10 ? Peut-être parce que je suis toujours un peu réticent avec les "films sur le fait de faire un film" ; un peu aussi à cause de la charge contre Truffaut, que je comprends tout à fait, mais qui est un peu mesquine ; enfin et surtout car le film, en devenant si personnel (un peu comme Le violent, de Nicholas Ray), se place délibérément en dehors de toute possibilité de critique. La mise en abyme est appuyée (Anouk Aimée : "Tu nous a tous mis dans ce film !" Mastroianni : "C'est un film sur rien, il n'y a pas de sujet, il pourrait d'ailleurs se terminer maintenant, cela me conviendrait"). C'est un peu comme si John Foster Kane était le réalisateur de Citizen Kane, cela place le spectateur en quelque sorte en-dehors de ce qui est montré. Il y a quelque chose de farouche et de délibérément hermétique dans ce film pourtant assez facilement ouvert à l'analyse. Fellini fait un film sur l'univers fellinien (j'ai particulièrement ressenti cela dans la scène, pourtant fascinante, de la Saraghina). L'auteur se dédouane en disant, par la bouche de Mastroianni, qu'il ne veut pas faire "un film de faussaire de plus".
Huit et demi mérite amplement sa place au panthéon des grands films du cinéma au niveau formel, mais c'est un film éprouvant, qui perdra le grand public en route.
Bon, et sinon il y a une Claudia Cardinale jeune poussée à un niveau de sublime rarement atteint.