Drôle de sensation, en voyant ce film de Carol Reed j'étais persuadé d'en avoir vu beaucoup d'autres alors que je ne connaissais que Le Troisième homme qui sortira deux ans plus tard. Étrange.
Les précautions prises dès les premières secondes du film, en faisant défiler un texte indiquant qu'on se situe en dehors du cadre de l'IRA (il est question d'une organisation irlandaise, rien de plus), donne une idée du climat qu'il devait régner à l'époque, de crainte et de censure, à ce sujet. Je trouve que cela a un effet décontextualisant légèrement dommageable, et ce renforcé par le fait qu'il y avait un précédent chez John Ford avec The Informer en 1935.
Odd Man Out développe un narratif assez simple : James Mason est le chef d'un groupuscule paramilitaire qui entend réaliser un braquage pour financer des opérations clandestines. Le braquage se passe mal, et l'essentiel de l'action porte sur sa fuite dans les bas-fonds de Belfast (la ville n'est jamais citée, mais on peut imaginer), alors qu'il est blessé et abandonné plus ou moins consciemment par ses compères. Une fuite sous la forme d'une longue errance et, blessure aidant, avec de nombreuses références au symbolisme religieux du chemin de croix.
Cette plongée dans un enfer de souffrance et de traque policière aurait pu tout à fait constituer le carburant d'un film noir sec et froid, y compris dénué de contexte politique. Malheureusement il me semble que Reed se fourvoie quelque peu dans la longueur, avec tout particulièrement les interventions nombreuses et très pénibles de deux bouffons, le peintre et l'amateur d'oiseau : cette tonalité loufoque et à caractère comique brise totalement la tension d'une trajectoire sombre. Il y a en plus de cela quelques abus du point de vue formel qui ont mal vieilli (c'est le cas d'effets récurrents pour montrer le vacillement de Mason, entre le flou de sa vision et les hallucinations avec les tableaux) et qui empêchent le film de s'épanouir pleinement dans le noir. Le final pousse une fibre tragique qui aurait pourtant pu fournir une belle puissance émotionnelle au terme de ce voyage en solitaire.
James Mason reste malgré tout le phare dans ces approximations, avec son timbre singulier et sa diction agréablement britannique, et le classicisme de la mise en scène renforce son interprétation spectrale.
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