"Le futur du thriller à un nom : Hyena." Cette vision prophétique sous forme de slogan publicitaire du génial Nicolas Widding Refn s’étale crânement sur les affiches bleutées de ce film anglais. Et il faut dire que la filiation avec le réalisateur danois nous saute rapidement à la tronche. Un peu trop, d'ailleurs. Pour son deuxième film, Gerard Johnson s’embarque dans un trajet direct et sans escale de Pusher à Only God Forgive. L’univers bien crade, bien brutal et bien dense de Pusher perdu dans le monde fluorescent d’Only God Forgive. Le style bien rudimentaire, bien sec et bien brut de Pusher entrecoupé de longs plans géométriques à la Only God Forgive. Une plongé dans le monde criminel des bas-fonds londonien, où la morale a été crevée à coup de coutelas.
Michael Logan, tronche mal rasée encadrée de cheveux gras, aspirateur nasal surmonté de deux tranchés de cernes, bedaine épanouie escortée par une large paire d’épaules, est un policier corrompu à la tête d’une division corrompue traquant des criminels corrompus, dans la jungle urbaine Londonienne. Une hyène dans un monde de charognard. Un bon flic. Un flic violent, qui boit, qui fume, qui frappe, qui vole, qui deal, en se bourrant le pif de coke. Mais un flic qui a des résultats. Un flic criminel, un criminel flic qui à force de mensonges, de manipulations et de magouilles se met tout le monde à dos. Un homme dépassé qui s’enfonce un peu plus dans la merde à chaque décision qu’il prend, emportant avec lui les rares personnes à qui il tient.
Des albanais qui palpent des millions dans des survets en polyester à dix balles.
Une plongée en enfer radicale, froide et brutale, portée par un réalisme âpre. Des antihéros détestables et ventripotents, des ordures qui ressemblent à des ordures. Des quartiers poubelles, enchevêtrement de tours grisâtres, de magasins puants et de bars miteux. Des nuits interminables criblées de néons, baignées de lumières fluorescentes. Une succession de situations malsaines et de réalités révoltantes entrecoupées d’explosions soudaines de violence. Un rythme en forme de rafales de coups de matraque, de plus en plus rapprochés, de plus en plus violentes. Hyena pu le sang coagulé, le wiskhy-coca et les relents de pisse froide.
Une réalisation caméra à l’épaule efficace, non tremblotante -alléluia - entrecoupée de plans fixes immortalisant l'aberrance tout en béton et en néons de l’urbanisme moderne. Une réalisation au plus proche des personnages, de leurs visages, de leurs réflexions, de leurs réactions, de leurs rages, de leurs peines, de leurs cruautés, de leurs fragilités, de leurs haines. Une réalisation minimaliste de laquelle émergent quelques moments de grâce, comme cette petite fillette, que l’on suit de dos, pendant qu’elle danse dans une tenue traditionnelle sur fond de musique folklorique. Hyena c’est le banal qui émerge de l'horreur, l’onirisme du cauchemardesque, le sublime du crade.
Dans cette partie pourrie de Londres, dans cette bouillie ethnique, dans cette macédoine de tronches, dans ce gruau de criminels et de policiers corrompus, dans cette soupe de vice copieusement saupoudrée de grosses pelletées de poudre blanche, personne ne laisse rien passer, personne n’oublie, personne ne pardonne.
Dans ce monde sans moral, pas de demi-mesure.
On adhère ou on décroche.
Classique, efficace, brutale.
Comme une machette aiguisée entre les mains d'anciens paramilitaires albanais.